Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/259

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monde à l’en empêcher, et bien plus encore à les raccommoder. Ils le contèrent le soir à leurs amis, et ce fut une des bonnes aventures du voyage. À qui les a connus, il n’y a peut-être rien de si plaisant.

Le bonhomme La Feuillée, lieutenant général, grand-croix de Saint-Louis et gouverneur de Dôle, etc., qu’on a vu ci-devant le mentor de Monseigneur en Flandre, mourut bientôt après dans une grande estime de probité, de valeur et de capacité à la guerre.

M. de Monaco partit dans ces temps-ci pour Rome. Il avoit accepté l’ambassade étant à Monaco, d’où il étoit venu recevoir ses ordres et ses instructions. On a vu ci-devant qu’il avoit obtenu le rang de prince étranger au mariage de son fils, en 1688, avec une fille de M. le Grand, chose à quoi ses pères n’avoient jamais pensé, et qu’il fut le dernier jour de la même année chevalier de l’ordre en son rang d’ancienneté parmi les ducs. Il prétendit que M. de Torcy avec qui il alloit avoir un commerce de lettres nécessaire et continuel, lui écrivit monseigneur, comme les secrétaires d’État l’écrivent aux Lorrains et aux Bouillon, et il l’obtint tout de suite. Quand le roi en parla à Torcy, il fut bien étonné et se récria fort. Il s’appuya principalement sur ce que MM. de Rohan, dont le rang de prince étranger est antérieur à celui de Monaco, n’avoient point ce traitement des secrétaires d’État, et frappa si bien le roi par cette distinction, qu’il a constamment refusée à Mme de Soubise, qu’il l’emporta. À son tour, M. de Monaco fut bien surpris lorsque le roi lui dit que M. de Torcy lui avoit allégué des raisons si fortes, qu’il n’avoit pu s’empêcher de s’y rendre. M. de Monaco insista sur le dégoût et de la chose et du changement, mais le roi tint ferme et le pria de n’y plus songer. M. de Monaco outré partit brouillé avec Torcy, et l’effet de cette brouillerie se répandit sur toute son ambassade, au détriment des affaires, qui en souffrirent beaucoup.