Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/273

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

alloit étouffer. Il ne dura que deux fois vingt-quatre heures sans avoir pu être transporté ; sa femme y étoit accourue. Mme de Maintenon, dès qu’elle la sut veuve, alla elle-même à Paris la chercher, et la ramena dans son carrosse extrêmement affligée. Elle eut pour ses enfants les neuf mille livres de pension qu’avoit son mari, et sur l’exemple de Mme de Béthune, dame d’atours de la reine, elle servit au bout de ses six semaines. Il fut peu regretté de la cour, et même dans le monde, mais la perte fut grande pour sa maison.

Thury, frère cadet de M. de Beuvron, mourut aussi. On le voyoit assez souvent à la cour ; c’étoit un homme fort appliqué à ses affaires ; ni lui ni son frère n’avoient guère servi. Il étoit resté un vieux conte d’eux, du temps qu’ils étoient à l’armée. Ils se promenoient à la tête du camp, il tomba une pluie assez douce après une grande sécheresse. « Mon frère, s’écria l’un, que de foin ! — Mon frère, que d’avoine !  » répondit l’autre. On le leur a souvent reproché.

On eut nouvelles de la mort du comte de Frontenac à Québec, où il étoit, pour la seconde fois, gouverneur général, depuis près de dix ans. Il avoit tellement gagné la confiance des sauvages, la première fois qu’il eut cet emploi, qu’on fut obligé de le prier d’y retourner. Il y fit toujours parfaitement bien, et ce fut une perte. Le frère de Callières commandoit sous lui, et lui succéda. M. de Frontenac s’appeloit Buade ; son grand-père avoit été gouverneur de Saint-Germain, premier maître d’hôtel du roi, et chevalier de l’ordre en 1619. Celui-ci étoit fils d’une Phélypeaux, nièce et fille de deux secrétaires d’État, et il étoit frère de Mme de Saint-Luc, dont le mari était chevalier de l’ordre et lieutenant général de Guyenne, fils du maréchal de Saint-Luc, et père du dernier Saint-Luc, mari d’une Pompadour, sœur de Mme d’Hautefort. C’étoit un homme de beaucoup d’esprit, fort du monde, et parfaitement ruiné. Sa femme, qui n’étoit rien, et dont le père s’appeloit Lagrange-Trianon, avoit été belle et galante, extrêmement du grand monde, et du