Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/305

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huit ans conseiller aux requêtes du palais, sans espérance d’aucune autre fortune. Je le lui ai ouï dire souvent, et combien il étoit affligé d’être exclu d’avoir la charge de son père. Il logeoit chez lui avec sa femme, fille de Maupeou, président aux enquêtes, n’avoient qu’un carrosse pour eux deux, et lui un cabinet pour travailler, où on entroit du haut du degré sans rien entre-deux, et couchoient au second étage. Sa mère, qui étoit morte en 1653, étoit fille du célèbre Talon, avocat général au parlement, puis conseiller d’État, qui a laissé des Mémoires si curieux et si rares des troubles de la minorité, en forme presque de journal.

Mon père étoit ami des Talon et des Phélypeaux, et lui et ma mère ont vu cent fois MM. de Pontchartrain, père et fils, vivant comme je le remarque. Le fils avoit un frère et deux sœurs. Le frère fut conseiller au grand conseil, puis maître des requêtes, bon homme et fort homme d’honneur, mais qui seroit demeuré toute sa vie maître des requêtes, sans la fortune de son aîné qui le fit conseiller d’État et intendant de Paris. Les sœurs épousèrent : l’aînée, M. Bignon, avocat général au parlement, après son célèbre père, puis conseiller d’État, celui qui par amitié et sans parenté voulut bien être mon tuteur lorsqu’à la mort de ma sœur je fus son légataire universel. L’autre sœur épousa M. Habert de Montmort, conseiller au parlement, fils de celui qui fut un des premiers membres de l’Académie française lorsque le cardinal de Richelieu la forma. Celle-ci mourut sans enfanta, dès 1661. L’autre mourut en 1690, et ne vit point la fortune de son frère, qui l’aimoit si tendrement qu’il a toujours traité ses enfants comme les siens, et en a fait deux conseillers d’État, et un autre conseiller d’État d’Église, et vécut intimement et avec déférence dans sa fortune avec M. Bignon, son beau-frère, jusqu’à sa mort.

Tel étoit l’état de cette famille si mal aisée et si reculée, que lorsque le père mourut en 1685 ils n’en furent guère plus à leur aise.