Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/330

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moins plus à M. Colbert qu’à vous. Je vous le répète, vous vous en repentirez. » En effet, Colbert s’étoit assuré de la place pour son frère Croissy, lors à Aix-la-Chapelle, comme je l’ai dit en rapportant sa mort, et ce fut un coup de foudre pour Le Tellier et pour Louvois qui les brouilla plus que jamais avec Colbert, et par une suite nécessaire avec ce frère. Pomponne sentit sa chute et son vide, mais il le supporta en homme de bien et de courage, avec tranquillité. Il eut peu après liberté de venir et de demeurer à Paris. Aucun de ses amis ne le délaissa, tout le monde prit part à sa disgrâce. Les étrangers en regrettant sa personne qu’ils aimoient, et lui continuant toujours des marques de considération dans les occasions qui s’en pouvoient présenter, furent bien aises d’être soulagés de sa capacité.

Le roi après quelque temps voulut voir Pomponne par derrière dans ses cabinets. Il le traita en prince qui le regrettoit, et lui parla même de ses affaires. De temps en temps, mais rarement cela se répétoit, et toujours sur le même pied de la part du roi. À la fin en une de ces audiences, le roi lui témoigna la peine qu’il avoit ressentie en l’éloignant, et qu’il ressentoit encore, et Pomponne y ayant répondu avec le respect et l’affection qu’il devoit, le roi continua à lui parler avec beaucoup d’estime et d’amitié. Il lui dit qu’il avoit toujours envie de le rapprocher de lui, qu’il ne le pouvoit encore, mais qu’il lui demandoit sa parole de ne point s’excuser, et de revenir dans son conseil dès qu’il le manderoit, et en attendant de lui garder le secret de ce qu’il lui disoit.

Pomponne le lui promit, et le roi l’embrassa. L’événement a fait voir ce que le roi pensoit alors. C’étoit de se défaire de M. de Louvois en l’envoyant à la Bastille. La parenthèse, en seroit déplacée ici, je pourrai avoir lieu ailleurs de raconter un fait si curieux. Dans le moment que ce ministre fut mort, le roi écrivit de sa propre main à Pomponne de revenir sur-le-champ prendre sa