Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/34

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d’avis d’attaquer le prince Louis, sans exception, aucun ne fut d’avis d’aller sur cette hauteur pour ne faire que suspendre l’attaque d’Eberbourg et se retirer trois jours après, excepté Villars tout seul dont tous se moquèrent. Il fut donc résolu de se retirer quand il n’y auroit plus de fourrage ; et cependant d’Arcy se rendit avec tous les honneurs de la guerre, excepté du canon, et fut traité par le prince Louis avec toutes sortes de politesses et les louanges que méritoit sa valeur et sa belle défense. Il avoit été capitaine dans Picardie[1]. Nous gagnâmes donc en deux marches le camp de Marcksheim, où, logé un peu à part avec quatre ou cinq de mes amis, je me délassai de la querelle des officiers généraux, dont je n’avois cessé d’être fatigué, surtout depuis que ce courrier du cabinet nous eut fait repasser le Rhin.

Ce fut en ce camp que nous reçûmes, par un courrier du cabinet, la nouvelle de la paix signée à Ryswick, excepté avec l’empereur et l’empire, mais la suspension d’armes avec eux. M. le maréchal de Choiseul envoya aussitôt un trompette à M. le prince Louis de Bade, et lui manda l’ordre qu’il venoit de recevoir. Le prince Louis caressa fort le trompette, et manda au maréchal qu’il avoit le même avis de la Haye par M. Straatman, un des ambassadeurs de l’empereur, mais qu’il n’avoit encore aucun ordre de Vienne ; ce qui n’empêcheroit pas d’observer la suspension en attendant. Il défendit aussitôt tous actes d’hostilités et rappela tous les hussards et tous les partis qui étoient dehors. J’eus grande envie de prendre cette occasion d’aller voir Mayence ; plusieurs y furent, mais je n’en pus jamais obtenir la permission du maréchal. Il se tint toujours à dire que j’étois trop marqué, et que, tout général d’armée qu’il était, il n’y avoit que le roi qui pût permettre à un duc et pair de sortir du royaume. Nous n’en fûmes pas longtemps à portée, mais ma curiosité n’en fut pas moins dépitée. La suspension étoit

  1. Le régiment de Picardie, dont il s’agit ici, avait été le premier régiment organisé ; il datait du règne d’Henri II.