Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 2.djvu/386

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ou que leur travail étoit court, et cet amusement se prolongea un peu dans le carême.

M. de Noirmoutiers épousa, ce carnaval-ci, la fille d’un président en la chambre des comptes, qui s’appeloit Duret de Chevry. Il étoit veuf dès 1689 de la veuve de Bermont, conseiller au parlement de Paris, fille de La Grange-Trianon, président aux requêtes du palais, qu’il avoit épousée au commencement de 1688, et n’eut point d’enfants de l’une ni de l’autre. Il étoit de la maison de La Trémoille et son trisaïeul étoit frère du premier duc de La Trémoille et du baron de Royan et d’Olonne, de manière que le duc de La Trémoille, gendre du duc de Créqui, et lui étoient petits-fils des cousins germains. Il étoit frère de la célèbre princesse des Ursins, de Mme de Royan, mère de la duchesse de Châtillon, de la duchesse Lanti et de l’abbé de La Trémoille, auditeur de rote[1], mort cardinal. Il étoit beau, bien fait, agréable, avec beaucoup d’esprit et d’envie de se distinguer et de s’élever. Il n’avoit pas vingt ans, lorsque allant trouver la cour à Chambord, la petite vérole l’arrêta à Orléans, sortit bien, et comme il touchoit à la guérison, sortit une deuxième fois et l’aveugla. Il en fut si affligé qu’il demeura vingt ans et plus sans vouloir que personne le vit, enfermé à se faire lire. Avec beaucoup d’esprit et de mémoire, il n’étoit point distrait et n’avoit que cet unique amusement

  1. Tribunal séant à Rome. Dangeau explique, dans son Journal, à la date du 19 août 1686, la destination et l’organisation de ce tribunal : « La rote est un tribunal qui juge les causes importantes de l’État ecclésiastique et quelques autres qui y viennent, par appel, des États catholiques de l’Europe. Ce tribunal se compose de douze juges qu’on nomme auditeurs. Il y a un François, deux Espagnols. un Allemand ; les autres huit sont Italiens. Pour juger les causes. ces douze auditeurs se partagent en trois bureaux ; chacun est compose de quatre auditeurs. Quand une cause a été jugée par un de ces bureaux, on la porte devant le second et ensuite devant le troisième, et l’affaire n’est point jugée définitivement qu’il n’y ait trois sentences conformes, et qu’elle n’ait passe comme roulée par ces trois petits bureaux ; c’est ce qui fait que tout le corps de ces juges entre lesquels on fait ainsi rouler les causes, se nomme en italien la. rota. »