Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/162

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et ne faisoit pas cas des remèdes ni des médecins. Le roi qui, outre l’affaire de M. le duc de Chartres, étoit secrètement outré contre elle, comme on le verra bientôt, n’avoit point été la voir, quoique Monsieur l’en eût pressé dans ces tours légers qu’il venoit faire sans coucher. Cela étoit pris par Monsieur, qui ignoroit le fait particulier de Madame au roi, pour une marque publique d’une inconsidération extrême, et comme il étoit glorieux et sensible, il en était piqué au dernier point.

D’autres peines d’esprit le tourmentoient encore. Il avoit depuis quelque temps un confesseur qui, bien que jésuite, le tenoit de plus court qu’il pouvoit ; c’étoit un gentilhomme de bon lieu et de Bretagne, qui s’appeloit le P. du Trévoux. Il lui retrancha, non seulement d’étranges plaisirs, mais beaucoup de ceux qu’il se croyoit permis, pour pénitence de sa vie passée. Il lui représentoit fort souvent qu’il ne se vouloit pas damner pour lui, et que, si sa conduite lui paraissoit trop dure, il n’auroit nul déplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. À cela il ajoutoit qu’il prît bien garde à lui, qu’il étoit vieux, usé de débauche, gras, court de cou, et que, selon toute apparence, il mourroit d’apoplexie, et bientôt. C’étoient là d’épouvantables paroles pour un prince le plus voluptueux et le plus attaché à la vie qu’on eût vu de longtemps, qui l’avoit toujours passée dans la plus molle oisiveté, et qui était le plus incapable par nature d’aucune application, d’aucune lecture sérieuse, ni de rentrer en lui-même. Il craignoit le diable, il se souvenoit que son précédent confesseur n’avoit pas voulu mourir dans cet emploi, et qu’avant sa mort il lui avoit tenu les mêmes discours. L’impression qu’ils lui firent le forcèrent de rentrer un peu en lui-même, et de vivre d’une manière qui depuis quelque temps pouvoit passer pour serrée à son égard. Il faisoit à reprises beaucoup de prières, obéissoit, à son confesseur, lui rendoit compte de la conduite qu’il lui avoit prescrite sur son jeu, sur ses autres dépenses, et sur