Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/26

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l’étoit aussi de longue main ; qu’en l’acceptant tout le faix tomboit sur la France, qui, dans l’impuissance de soutenir le poids de tout ce qui s’alloit unir contre elle, auroit encore l’Espagne à supporter. Que c’étoit un enchaînement dont on n’osoit prévoir les suites ; mais qui en gros se montroient telles que toute la prudence humaine sembloit conseiller de ne s’y pas commettre. Qu’en se tenant au traité de partage, la France se concilioit toute l’Europe par cette foi maintenue, et par ce grand exemple de modération, elle qui n’avoit eu toute l’Europe sur les bras que par la persuasion, où sa conduite avoit donné crédit, des calomnies semées avec tant de succès qu’elle vouloit tout envahir, et monter peu à peu à la monarchie universelle tant reprochée autrefois à la maison d’Autriche, dont l’acceptation du testament ne laisseroit plus douter, comme en étant un degré bien avancé. Que, se tenant au traité de partage, elle s’attireroit la confiance de toute l’Europe dont elle deviendroit la dictatrice, ce qu’elle ne pouvoit espérer de ses armes, et que l’intérieur du royaume, rétabli, par une longue paix, augmenté aux dépens de l’Espagne, avec la clef du côté le plus jaloux et le plus nu de ce royaume, et celle de tout le commerce du Levant, enfin l’arrondissement si nécessaire de la Lorraine, qui réunit les Évêchés, l’Alsace et la Franche-Comté, et délivre la Champagne qui n’a point de frontières, formeroit un État si puissant qu’il seroit à l’avenir la terreur ou le refuge de tous les autres, et en situation assurée de faire tourner à son gré toutes les affaires générales de l’Europe. Torcy ouvrit cet avis pour balancer et sans conclure, et le duc de Beauvilliers le soutint puissamment.

Le chancelier, qui, pendant toute cette déduction s’étoit uniquement appliqué à démêler l’inclination du roi, et qui crut l’avoir enfin pénétrée, parla ensuite.

Il établit d’abord qu’il étoit au choix du roi de laisser brancher une seconde fois la maison d’Autriche à fort peu de puissance près le ce qu’elle avoit été depuis Philippe II, et dont on avoit vivement