Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/263

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d’usage en Espagne, où le comte de Tessé ne devoit point aller, et encore ce consentement fut-il difficile et tardif. Philippe V a pourtant fait deux exceptions à cette règle, que nul autre roi n’avoit enfreinte avant lui.

La première fut en faveur du duc de Berwick, auquel, en récompense de ses services après la bataille d’Almanza, il donna la grandesse de première classe, les duchés de Liria et de Quirica, anciens apanages des infants d’Aragon, pour y établir sa grandesse et jouir, en propriété, de ses terres de quarante mille livres de rente ; la liberté d’y appeler tel de ses enfants qu’il voudroit, pour en jouir même de son vivant et sa postérité ensuite ; la faculté de changer ce choix pendant toute sa vie, et le pouvoir de le changer encore par son testament, toutes grâces inouïes et proportionnées à l’importance de la victoire d’Almanza. En conséquence, son fils aîné eut en Espagne la grandesse, les duchés, et porta le nom du duc de Liria où il s’établit, puissant par son mariage avec la sœur du duc de Veragua qui en recueillit depuis le vaste et riche héritage.

L’autre exception fut faite en faveur de la fonction dont je fus honoré d’aller ambassadeur extraordinaire en Espagne faire la demande de l’infante pour le roi, conclure le futur mariage, en signer le contrat et assister de sa part au mariage du prince des Asturies avec une fille de M. le duc d’Orléans, lors régent du royaume. À l’instant que la cérémonie en fut achevée, le roi d’Espagne s’avança à moi dans la chapelle même du château de Lerma, et avec mille bontés me fit l’honneur de me dire qu’il me donnoit la grandesse de la première classe pour moi, et en même temps pour celui de mes deux fils que je voudrois choisir pour en jouir dès à présent avec moi, et la Toison d’or à l’aîné. Comme j’avois la permission de l’accepter, je choisis sur-lechamp le cadet, et les lui présentai tous deux pour le remercier, avec moi, de ses grandes grâces, puis à la reine qui ne me témoigna pas moins de bontés, auxquelles j’eus le bonheur