Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/360

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table, chez Mme de Maintenon, trouva cette liste des quatre maréchaux de France : en la lisant, les yeux lui rougirent, elle s’écria en s’adressant au roi qu’il oublioit Tessé, qui en mourroit de douleur et elle aussi. Elle se piquoit d’aimer Tessé, parce qu’il avoit fait la paix de Savoie et son mariage, et elle s’apercevoit bien que par cette raison cela plaisoit au roi. Il fut fâché cette fois qu’elle eût vu ce papier, et soit qu’il eut déjà résolu de ne point faire de maréchaux de France, ou qu’il fût butté alors à ne pas faire Tessé, il répondit avec émotion à la princesse qu’elle ne s’affligeroit pas et qu’il n’en feroit aucun.

Cependant le roi d’Espagne écrivoit lettres sur lettres au roi, sur son voyage d’Italie. Le temps s’avançoit. Il falloit se déterminer. Chamillart, tout doucement détaché d’Harcourt, cessa ses oppositions par rapport aux finances, comme entrant dans les raisons du voyage et dans le goût que le roi y montroit. Il fut résolu, et Louville dépêché pour en informer le roi d’Espagne.

Harcourt alors se sentit perdu avec lui, et sa ressource de retourner en Espagne, si besoin lui en étoit, évanouie. Il avoit tergiversé et s’étoit caché tant qu’il avoit pu sur ce voyage ; mais la conférence chez le chancelier lui avoit forcé la main ; il sentit bien que Louville ne cacheroit pas son opposition au roi d’Espagne, et le refus dont je parlerai bientôt, que le duc de Beauvilliers ne lui laisseroit point ignorer, et beaucoup moins Torcy. Cela le résolut à redoubler d’efforts pour entrer dans le conseil, et profiter de sa situation présente.

Je ne sais si la vanité le trahit, ou s’il crut imposer à ceux qu’il craignoit par un raffinement de politique. Quoi qu’il en soit, il ne craignit pas de plaisanter, avec un air de hauteur et d’assurance, de la peur des ministres de le voir entrer dans le conseil, qui n’en fermoient pas l’œil d’inquiétude, disoit-il, tandis qu’il dormoit les nuits tout d’un somme, et il eut ou l’imprudence, ou la fausse politique