Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/64

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enfin l’aventure des renards. Le roi lui promit qu’il parleroit à M. le Prince de façon qu’il auroit repos désormais. En effet, il lui ordonna de faire ôter par ses gens et à ses frais jusqu’au dernier renard du parc du bonhomme, et de façon qu’il ne s’y fit aucun dommage, et qu’il réparât ceux que les renards y avoient faits ; et pour l’avenir lui imposa si bien, que M. le Prince, plus bas courtisan qu’homme du monde, se mit à rechercher Rose, qui se tint longtemps sur son fier, et oncques depuis n’osa le troubler en la moindre chose. Malgré tant d’avances, qu’il fallut bien enfin recevoir, il la lui gardoit toujours bonne, et lui lâchoit volontiers quelque brocard. Moi et cinquante autres en filmes un jour témoins.

Les jours de conseil, les ministres s’assembloient dans la chambre du roi sur la fin de la messe, pour entrer dans le cabinet quand on les appeloit pour le conseil, lorsque le roi étoit rentré par la galerie droit dans ses cabinets. Il y avoit toujours des courtisans à ces heures-là dans la chambre du roi, ou qui avoient affaire aux ministres, à qui ils parloient là plus commodément quand ils avoient peu à leur dire, ou pour causer avec eux. M. le Prince y venoit souvent, et il étoit vrai qu’il leur parloit à tous sans avoir rien à leur dire, avec le maintien d’un client qui fait bassement sa cour. Rose, à qui rien n’échappoit, prit sa belle qu’il y avoit beaucoup du meilleur de la cour que le hasard y avoit rassemblé ce jour-là, et que M. le Prince avoit cajolé les ministres avec beaucoup de souplesse et de flatterie. Tout d’un coup le bonhomme, qui le voyoit faire, s’en va droit à lui, et clignant un œil avec un doigt dessous, qui étoit quelquefois son geste : « Monsieur, lui dit-il tout haut, je vous vois faire ici un manège avec tous ces messieurs, et depuis plusieurs jours, et ce n’est pas pour rien ; je connois ma cour et mes gens depuis longues années, on ne m’en fera pas accroire je vois bien où cela va ;  » et avec des tours et des inflexions de voix, qui embarrassoient tout à fait M. le Prince, qui se