Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/117

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ces gens-là où ils vouloient, avec une confiance, une obéissance et une furie inconcevable.

Le Languedoc gémissoit depuis longues années sous la tyrannie de l’intendant Bâville, qui, après avoir culbuté le cardinal Bonzi, comme on le dira en son lieu, tira toute l’autorité à lui, et qui, pour que rien ne lui en pût échapper, fit donner le commandement des armées dans toute la province à son beaufrère Broglio, qui n’avoit pas servi depuis la malheureuse campagne de Consarbrück du maréchal de Créqui, où il étoit maréchal de camp. Par ce moyen, le commandement et toute considération des lieutenants généraux de la province tombèrent, et tout fut réuni à Bâville, devant qui son beaufrère, d’ailleurs très incapable, ne fut qu’un petit garçon. Bâville étoit un beau génie, un esprit supérieur, très éclairé, très actif, très laborieux. C’étoit un homme rusé, artificieux, implacable, qui savoit, aussi parfaitement servir ses amis et se faire des créatures ; un esprit surtout de domination qui brisoit toute résistance, et à qui rien ne coûtoit, parce qu’il n’étoit arrêté par rien sur les moyens. Il avoit fort augmenté le produit de la province ; l’invention de la capitation l’avoit beaucoup fait valoir. Ce génie vaste, lumineux, impérieux étoit redouté des ministres, qui ne le laissoient pas approcher de la cour, et qui, pour le retenir en Languedoc, lui laissoient toute puissance, dont il abusoit sans ménagement.

Je ne sais si Broglio et lui se voulurent faire valoir du côté des armes, mais ils inquiétèrent fort les non ou mauvais convertis, qui à la fin s’attroupèrent. On sut après que Genève d’une part, le duc de Savoie d’autre, leur fournirent des armes et des vivres dans le dernier secret ; l’une, des prédicants, l’autre, quelques gens de tête et de main, et de l’argent ; tellement qu’on fût très longtemps dans la surprise de les voir en apparence dénués de tout, et néanmoins se soutenir et entreprendre.

On eut grande obligation à ce fanatisme qui s’empara