Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/177

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À tant de dispositions si favorables aux desseins de la princesse des Ursins, il s’y en joignit une autre tout à fait singulière, née du concours de la piété avec le tempérament. Ce prince en eut un si fort et si abondant, qu’il en fut incommodé jusqu’au danger pendant son voyage en Italie. Tout s’enfla prodigieusement ; la cause de l’enflure ne trouvant point d’issue par des vaisseaux forts aussi, et peu accoutumés à céder d’eux-mêmes à la nature, reflua dans le sang. Cela causa des vapeurs considérables. Enfin cela hâta son retour, et il n’eut de soulagement qu’après avoir retrouvé la reine. De là on peut juger combien il l’aima, combien il s’attacha à elle et combien elle sut s’en prévaloir, déjà initiée aux affaires et conduite par son habile et ambitieuse gouvernante. Ainsi la présence du roi à Madrid n’exclut point la reine des secrets ni de l’administration. Elle ne présidoit plus à la junte, mais rien ne s’y délibéroit à son insu. La confiance et l’affection de cette princesse pour la camarera-mayor passa bientôt par elle au roi, qui ne cherchoit qu’à lui plaire. Bientôt la junte devint une représentation ; tout se portoit en particulier au roi, ordinairement devant la reine, qui ne décidoit rien sur-lechamp, et qui prenoit son parti entre elle et la princesse des Ursins ; cette conduite ne fut point contredite par notre cour. Les cardinaux d’Estrées et Portocarrero eurent beau s’en plaindre et s’y appuyer de nos ministres, Mme de Maintenon se moquoit d’eux et le roi croyoit d’une profonde politique d’accréditer la reine de plus en plus, dans la pensée que l’intérêt personnel de Mme de Maintenon lui inspiroit, et dans laquelle elle l’affermissoit sans cesse de gouverner le roi son petit-fils par la reine plus sûrement que par tout autre canal.

Les anciennes et si intimes liaisons de Mme des Ursins avec les deux cardinaux sur lesquels notre cour avoit si principalement compté cédèrent au désir et à la possibilité de gouverner seule, indépendamment d’eux, et sûre du roi d’Espagne par la reine elle n’hésita plus à leur montrer son