Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/293

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étroitement et où on lui refusoit jusqu’au nécessaire de la vie. Ses derniers propos avec M. de Savoie furent assommants pour un prince qui se sentoit autant que celui-là, et ses réponses encore plus piquantes, par leur sel et leur audace, aux messages qu’il lui envoya souvent depuis. Il dit même aux officiers qui le gardoient à Coni qu’il espéroit que le roi seroit maître de Turin avant la fin de l’année, que lui en seroit fait gouverneur, qu’il y feroit raser d’abord la maison où il avoit été arrêté, et qu’il y feroit élever une pyramide avec une inscription en plusieurs langues, par laquelle il instruiroit la postérité des rigueurs avec lesquelles M. de Savoie avoit traité un ambassadeur de France, contre le droit des gens, contre l’équité et la raison. Il avoit fait une relation de ce qui s’étoit passé à son égard depuis les premiers événements de la rupture, très curieuse et bien écrite, où il n’épargnoit pas M. de Savoie ni sa cour. Il en montra quelques copies, qui furent fort recherchées et qui méritent de l’être toujours. Le malheur de l’État, attaché à la fortune de La Feuillade, ne permit pas à Phélypeaux de jouir de sa vengeance, ni la longueur de sa vie de voir les horreurs dans lesquelles M. de Savoie finit la sienne. Ce Phélypeaux étoit un vrai épicurien qui croyoit tout dû à son mérite, et il étoit vrai qu’il avoit des talents de guerre et d’affaires, et tout possible par l’appui de ceux de son nom qui étoient dans le ministère ; mais particulier et fort singulier, d’un commerce charmant quand il vouloit plaire ou qu’il se plaisoit avec les gens ; d’ailleurs épineux, difficile, avantageux et railleur. Il étoit pauvre et en étoit fâché pour ses aises, ses goûts très recherchés et sa paresse.

Il étoit frère d’un évêque de Lodève, plus savant, plus finement spirituel et plus épicurien que lui, plus aisé aussi dans sa caisse, qui, par la tolérance de Bâville et l’appui de ceux de son nom dans le ministère, manioit fort le Languedoc depuis la chute du cardinal Bonzi. Il survécut son frère, entretenoit des maîtresses publiquement chez lui,