Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ancienneté de lieutenant général et par la faveur de sa famille. Legal, qu’une jolie action venoit de faire lieutenant général, comme je crois l’avoir marqué en son lieu, et qui revenoit de la cour où l’électeur l’avoit envoyé comme un homme intelligent et de confiance, secondoit Blainville auprès de lui en audacieux qui espère tout et ne regarde point d’où il est parti, et l’électeur, plein de valeur et à la tête de trois armées complètes et florissantes, pétilloit de lui-même d’ardeur de s’en servir et de se rendre maître de l’Allemagne par le gain d’une bataille qui auroit mis l’empereur à sa merci, entre des mécontents victorieux déjà et les armées de l’électeur triomphantes. Ces idées si flatteuses le perdirent. Il ne discerna pas l’incertitude du succès d’avec la sûreté de celui de ne rien entreprendre. Il se trouvoit dans l’abondance et dans une abondance durable, par les pays gras et neufs dont il étoit maître et qu’il avoit dans ses derrières et à l’un de ses côtés. Le vis-à-vis de lui étoit ruiné par les armées ennemies qui, par le nombre de leurs troupes, de leurs marches circulaires et croisées, de leur séjour, étoit mangé. Leur derrière ne l’étoit pas moins. Il y avoit peu de distance au delà jusqu’au ravage qu’avoient fait les courses des mécontents.

En un mot, ces pays épuisés ne pouvoient fournir huit jours de subsistance à ce grand nombre de troupes des alliés, et sans rien faire que les observer, il falloit que, faute de subsistance, ils lui quittassent la partie, et se retirassent assez loin pour chercher à vivre, pour que l’électeur trouvât tout ouvert devant lui. N’avoir pas pris ce parti fut la première faute et la faute radicale.

Marsin ne songeoit, depuis qu’il étoit en Bavière, qu’à se rendre agréable à l’électeur, et Tallard, gâté par sa victoire de Spire, et cherchant aussi à plaire en courtisan, ne mit aucun obstacle à l’empressement de l’électeur de donner une bataille. Il ne fut donc plus question que de ce but, qui se trouva d’autant plus facile à atteindre, qu’une bataille étoit tout le désir et toute la ressource des alliés dans la