Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se mit à rire, et lui apprit que ce portrait étoit celui de sa femme. Dès qu’il fut mort, le duc de Mantoue ne cessa de songer à cette jeune veuve. Sa naissance et ses alliances étoient fort convenables, il s’en informa encore secrètement, et il partit dans la résolution de faire ce mariage. En vain lui fit-on voir Mlle d’Elbœuf comme par hasard dans des églises et en des promenades : sa beauté, qui en auroit touché beaucoup d’autres, ne lui fit aucune impression.

Il cherchoit partout la duchesse de Lesdiguières, et il ne la rencontroit nulle part, parce qu’elle étoit dans sa première année de veuve ; mais lui qui vouloit finir, s’en ouvrit à Torcy comme au ministre des affaires étrangères ; il en rendit compte au roi, qui approuva fort ce dessein, et qui chargea le maréchal de Duras d’en parler à sa fille. Elle en fut aussi affligée que surprise.

Elle témoigna à son père sa répugnance à s’abandonner aux caprices et à la jalousie d’un vieil Italien débauché, l’horreur qu’elle concevoit de se trouver seule entre ses mains en Italie, et la crainte raisonnable de sa santé avec un homme très convaincu de ne l’avoir pas bonne.

Je fus promptement averti de cette affaire. Elle et Mme de Saint-Simon vivoient ensemble, moins en cousines germaines qu’en sœurs ; j’étois aussi fort en liaison avec elle. Je lui représentai ce qu’elle devoit à sa maison prête à tomber après un si grand éclat par la mort de mon beau-père, la conduite de mon beau-frère, l’âge si avancé de M. de Duras, et l’état de son seul frère, dont les deux nièces emportoient tous les biens. Je lui fis valoir le désir du roi, les raisons d’État qui l’y déterminoient, le plaisir d’ôter ce parti à Mlle d’Elbœuf, en un mot tout ce dont je pus m’aviser. Tout fut inutile. Je ne vis jamais une telle fermeté. Pontchartrain, qui la vint raisonner, y échoua comme moi, mais il fit pis, car il l’irrita par les menaces qu’il y mêla que le roi le lui sauroit bien faire faire. M. le Prince se joignit à nos désirs, n’ayant plus aucune espérance pour lui-même, et qui surtout craignoit le mariage d’une Lorraine. Il fut trouver