Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre le prirent pour bon et ne se doutèrent de rien. Sitôt que la parole en fut lâchée, Tessé n’eut rien de plus pressé que de tirer son gendre de la cour et du royaume, et pour mettre fin à ses folies et aux frayeurs mortelles qu’elles causoient, et pour couper court à la surprise et aux réflexions sur un si long voyage d’un homme en l’état auquel Maulevrier passoit pour être.

Tessé prit donc congé les premiers jours d’octobre, et partit avec son gendre de Fontainebleau pour l’Espagne. Mais il étoit trop avisé pour y aller tout droit. Il y vouloit une fortune, il la savoit pour ce pays-là entre les mains de la princesse des Ursins, il en savoit trop de notre cour pour ignorer que Mme de Maintenon demeuroit sourdement sa protectrice ; il ne crut donc pas lui déplaire de lui représenter qu’allant en Espagne pour servir, il ne le pouvoit faire utilement qu’avec les bonnes grâces du roi et de la reine d’Espagne ; qu’il se gardoit bien de pénétrer dans tout ce qui s’étoit passé sur la princesse des Ursins, mais qu’il ne pouvoit ignorer avec tout le monde jusqu’à quel point elle tenoit au cœur de Leurs Majestés Catholiques ; qu’une visite de sa part à Mme des Ursins ne pouvoit influer sur rien, mais que cette attention, qui plairoit infiniment au roi et à la reine d’Espagne, feroit peut-être tout le succès de son voyage en lui conciliant Leurs Majestés Catholiques, et lui aplaniroit tout pour le service des deux rois. Avec ce raisonnement il supplia Mme de Maintenon de lui obtenir la liberté de passer par Toulouse, uniquement dans la vue de se mettre en état de pouvoir bien répondre à ce qu’on attendoit de lui au pays où le roi l’envoyoit. Mme de Maintenon goûta fort une proposition qui lui donnoit le moyen de charger Tessé de lettres et de choses qui, sans le mettre dans le secret, lui étoient utiles à mander commodément et à la princesse des Ursins d’apprendre.

Le roi, qui alors étoit un peu calmé sur Mme des Ursins ; entra dans les raisons du maréchal de Tessé, que Mme de