Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/101

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les mêmes routes. Mme d’O, la maréchale de Coeuvres, devinrent ses amies, il chercha à se faire entendre et il fut entendu. Bientôt il affronta le danger des Suisses, les belles nuits, dans les jardins de Marly. Nangis en pâlit. Maulevrier, bien que hors de gamme, à son retour en augmenta de rage. L’abbé eut leur sort : tout fut aperçu ; on s’en parla tout bas, le silence d’ailleurs fort observé. Triompher de son âge ne lui suffit pas, il vouloit du plus solide. Les arts, les lettres, le savoir, les affaires qu’il avoit maniées, le faisoient aspirer à être reçu dans le cabinet de Mgr le duc de Bourgogne, dont il se promettoit tout s’il pouvoit y être admis.

Pour y aborder, il fallut gagner ceux qui en avoient la clef. C’étoit le duc de Beauvilliers qui, après l’éducation achevée, avoit conservé toute la confiance du jeune prince. Son ministère et sa charge occupoient tout son temps. Il n’étoit ni savant, ni homme de beaucoup de lettres, l’abbé n’étoit lié avec personne qui le fût avec lui, il ne put donc frapper là directement. Mais le duc de Chevreuse, en apparence moins occupé (et cet en apparence j’aurai bientôt lieu de l’expliquer), Chevreuse, dis-je, parut à l’abbé plus accessible. Il l’étoit par les lettres et les sciences, et une fois entamé, il étoit facile ; ce fut par là qu’il fut attaqué. Tourné d’abord dans le peu de moments qu’il paraissoit chez le roi en public, tenté par l’hameçon de quelque problème, ou de quelque question curieuse à approfondir, arrêté après aisément et longtemps dans la galerie, l’abbé de Polignac s’ouvrit la porte de son appartement si ordinairement fermée. En peu de temps, il charma M. de Chevreuse, il eut d’heureux hasards d’y voir arriver M. de Beauvilliers, il parut discret, retenu, fugitif. Peu à peu il se fit retenir en des moments de loisir. Chevreuse le vanta à son beau-frère ; l’abbé épioit tous les moments : les deux ducs n’étoient qu’un cœur et qu’une âme ; plaisant à l’un il plut à l’autre, et reçu chez le duc de Chevreuse, il le fut bientôt chez le duc de Beauvilliers.