Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/109

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mais dont l’ambition avoit le même but, y pensèrent tous deux dans l’espérance que ce grand emploi les élèveroit au duché-pairie : l’un porté par ses charges qui pour son argent en avoient fait non pas un seigneur, mais, comme a si plaisamment dit La Bruyère sur ses manières, un homme d’après un seigneur, par ses fades privances d’ancienneté avec le roi, le mérite d’une assiduité infatigable et d’une éternelle louange, celles de sa femme avec Mme de Maintenon qui l’aimoit ; l’autre par sa naissance, parce qu’il étoit aux enfants du roi et de sa mère, par son esprit et sa capacité, par son manège et son intrigue. Dangeau y avoit pensé de plus loin, il s’étoit avisé de saisir des occasions de se faire connoître à quelques cardinaux. Il avoit été jusqu’à faire des présents au cardinal Ottoboni, et quelquefois à en recevoir des lettres et à s’en vanter avec complaisance. Tous deux étoient bien avec Torcy, qui ménageoit extrêmement Mme de Dangeau, devenue fort son amie. Mme de Bouzols, sa sœur, passoit sa vie avec Mme la Duchesse dans l’intimité de tout avec elle. Elle pouvoit beaucoup sur son frère. D’Antin, tout tourné à Mme la Duchesse, faisoit agir ce ressort auprès du ministre des affaires étrangères, et ne négligeoit rien d’ailleurs pour réussir.

Gualterio me parla de cette ambassade ; il étoit tout françois, et il ne lui étoit pas indifférent de pouvoir compter sur l’amitié d’un ambassadeur de France à Rome. À trente ans que j’avois pour lors, je regardai cette idée comme une chimère, avec l’éloignement qu’avoit le roi des jeunes gens, surtout pour les employer dans les affaires. Callières aussi m’en parla après, je lui répondis dans la même pensée, et j’ajoutai les difficultés de réussir à Rome et de ne m’y pas ruiner, et celles, établi comme je l’étois, de parvenir à rien de plus par cette ambassade. Huit jours après que le nonce m’en eut parlé, je le vis entrer dans ma chambre un mardi, vers une heure après midi, les bras ouverts, la joie peinte sur son visage, qui m’embrasse, me serre, me prie de fermer