Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/121

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tout ce qui se passoit alors et que le roi affectionnoit si fort, par une conduite si opposée. La même bénédiction qui la suivit s’étendit encore jusqu’à empêcher le mauvais gré et pis qui en devoit naturellement résulter.

L’autre action, toute de charité aussi, fut moins publique et moins dangereuse, mais ne fut pas moins belle. Outre les aumônes publiques, qui de règle consumoient tout le revenu de l’évêché tous les ans, M. d’Orléans en faisoit quantité d’autres qu’il cachoit avec grand soin. Entre celles-là, il donnoit quatre cents livres de pension à un pauvre gentilhomme ruiné qui n’avoit ni femme ni enfants, et ce gentilhomme étoit presque toujours à sa table tant qu’il étoit à Orléans. Un matin les gens de M. d’Orléans trouvèrent deux fortes pièces d’argenterie de sa chambre disparues, et un d’eux s’étoit aperçu que ce gentilhomme avoit beaucoup tourné là autour. Ils dirent leur soupçon à leur maître qui ne le put croire, mais qui s’en douta sur ce que ce gentilhomme ne parut plus. Au bout de quelques jours il l’envoya quérir, et tête à tête il lui fit avouer qu’il étoit le coupable. Alors M. d’Orléans lui dit qu’il falloit qu’il se fût trouvé étrangement pressé pour commettre une action de cette nature, et qu’il avoit grand sujet de se plaindre de son peu de confiance de ne lui avoir pas découvert son besoin. Il tira vingt louis de sa poche qu’il lui donna, le pria de venir manger chez lui à son ordinaire, et surtout d’oublier, comme il le faisoit, ce qu’il ne devoit jamais répéter. Il défendit bien à ses gens de parler de leur soupçon, et on n’a su ce trait que par le gentilhomme même, pénétré de confusion et de reconnoissance.

M. d’Orléans fut souvent et vivement pressé par ses amis de remettre son évêché, surtout depuis qu’il fut cardinal. Ils lui représentoient que, n’en ayant jamais rien touché, il ne s’apercevroit pas de cette perte du côté de l’intérêt, que de celui du travail ce lui seroit un grand soulagement, et que cela le délivreroit des disputes continuelles qu’il avoit