Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/175

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du siège, mais du siège uniquement, pourvu qu’il y fût le maître, et de rien au delà, parce qu’il déclara avec franchise qu’il ne s’entendoit point à la guerre de campagne, ni à commander une armée. Ce qu’il demanda se trouva monter en toutes sortes de choses à bien plus qu’il ne fut possible de lui fournir, Là-dessus, il avertit le roi bien fermement, devant son ministre, chez Mme de Maintenon, que Turin ne se prendroit pas à moins ; et (ce qui est incroyable, avec la juste confiance du roi en Vauban, fondée sur une si longue expérience, avec le silence et l’embarras de Chamillart), sur ce refus de Vauban comme n’y pouvant réussir, la commission en fut sur-le-champ donnée ou plutôt confirmée à La Feuillade. Quel parallèle entre ces deux hommes ! et quel champ aux réflexions ! Et peut-on s’empêcher de reconnoître que, lorsque Dieu veut châtier, il commence par aveugler ? C’est ce qui se retrouve sans cesse dans le cours de cette guerre, mais c’est aussi ce qui ne saute nulle part aux yeux si fortement qu’ici.

Voilà donc La Feuillade non plus général par accidents amenés, non plus général en peinture, mais général d’une armée sur laquelle toute l’Europe fixa les yeux et trouva son sort attaché. Troupes d’élite autant que la possibilité les put grossir, officiers choisis, munitions en abondance, artillerie formidable, trésors d’argent, désir et exécution, identité de choses, en un mot le gendre bien-aimé d’un tout-puissant ministre des finances et de la guerre, qui mettoit en lui toutes ses complaisances, toutes ses espérances, l’appui et le salut de sa famille, on peut juger qu’on fut jusqu’à l’impossible de toutes parts pour le mettre en état de faire une conquête si capitale pour l’État, et si importante à leur fortune particulière. Tout fut donc très promptement disposé. La Feuillade arriva devant Turin le 13 mai, et se mit à faire ses lignes et ses ponts. Tardif, à faute de mieux, fut son premier ingénieur. Il n’avoit fait que de petits sièges en Bavière. Ainsi cette forte besogne