Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/176

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roula tout entière sur deux novices fort ignorants, et par cela même fort entêtés. Laissons-les s’établir.

Le roi n’avoit rien tant recommandé au maréchal de Villeroy que de ne rien oublier pour ouvrir la campagne par une bataille. Il commençoit à sentir le poids de la guerre ; il avoit dès lors envie de la terminer, mais il vouloit donner la paix et non la recevoir. Il espéroit tout de ses généraux et de ses troupes ; les succès d’Italie et du Rhin sembloient lui répondre de ceux de ses autres entreprises : il aimoit assez Villeroy pour vouloir qu’il cueillît des lauriers. Il partit à la mi-avril pour retourner en Flandre, et depuis son départ jusqu’à l’assemblée de son armée, le roi le pressa sans cesse d’exécuter ce qu’il lui avoit si expressément ordonné.

Le génie court et superbe de Villeroy se piqua de ces ordres si réitérés. Il se figura que le roi doutoit de son courage puisqu’il jugeoit nécessaire de l’aiguillonner si fort ; il résolut de tout hasarder pour le satisfaire, et lui montrer qu’il ne méritoit pas de si durs soupçons. En même temps que le roi vouloit une bataille en Flandre, il se vouloit mettre en état de la gagner. Dès que les lignes du Rhin furent prises et le fort Louis dégagé, le roi envoya ordre à Marsin de prendre dix-huit bataillons et vingt escadrons de son armée, laissant le reste à Villars, et de venir sur la Moselle où il trouveroit vingt autres escadrons et de marcher avec le tout en Flandre joindre le maréchal de Villeroy ; et à celui-ci de ne rien entreprendre avant cette jonction faite. Cette défense fut réitérée au maréchal de Villeroy par quatre courriers de suite coup sur coup, sur ce que ses réponses montroient que, piqué de toutes les instances qui lui avoient été redoublées pour donner promptement une bataille, il la vouloit brusquer sans attendre ce secours. J’insiste ici sur ce point, parce qu’il fut celui de la division mortelle d’entre le maréchal et Chamillart, et que ce dernier me montra les lettres originales du roi et de lui au maréchal, et les réponses