Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

présente rendoit nécessaire, et qui ne seroit connu que de lui ; tandis qu’il lui promettoit qu’il n’y auroit personne qui ne demeurât persuadé, à la manière dont cela se passeroit et dont il le traiteroit, que c’étoit lui, maréchal, qui l’avoit forcé de lui mander la permission de quitter le commandement de l’armée et de revenir à sa cour.

À qui n’a pas vu ces faits ils peuvent paroître incroyables. Mais outre les minutes que Chamillart m’a fait voir des lettres signées du roi, envoyées au maréchal, toutes plus pressantes et plus tendres les unes que les autres, de ce même style, pour vaincre sa résistance, c’est que je l’ai su encore de gens à qui le roi, à la fin outré, s’en est amèrement plaint.

Villeroy, par cette première lettre de la main du roi, ne sentit qu’une faveur étonnante dans la situation où il se trouvoit, et cette faveur l’aveugla. Il crut se maintenir en tenant ferme, et qu’avec une amitié si singulière et si particulièrement témoignée, telle que le roi n’en auroit pu user mieux avec son propre frère, jamais il ne se résoudroit à l’arracher de son emploi malgré lui. Il répondit donc au roi, après force propos de courtisan comblé, qu’il n’étoit point faux, qu’il n’étoit ni blessé ni malade, qu’il étoit malheureux, mais qu’il croyoit n’avoir point failli, qu’il ne pouvoit demander sa démission sous aucun prétexte véritable, ni se déshonorer en se déclarant soi-même, par cette démarche, incapable et indigne du commandement de ses armées dont il l’avoit honoré, et faire en même temps la plus grande injure à son choix.

Cette première réponse fâcha le roi sans l’irriter. Il condescendit, avec sa première amitié, à l’état douloureux d’un homme à qui on demande la démission d’un si grand emploi, dans les circonstances fâcheuses où il se trouvoit. Il redoubla, tripla, quadrupla toujours en même style, et ne reçut que les mêmes réponses. Par la dernière, toujours comptant sur ce qui l’avoit séduit d’abord, il manda arrogamment