Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/214

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sa maison, de son domestique ni de ses maîtresses. Il se doutoit bien que je n’approuverois pas ce qu’il faisoit pour celle-là ; il se garda bien de m’en ouvrir la bouche en aucun temps.

Mais voici une chose qu’il me raconta dans le salon de Marly, dans un coin où nous causions tête à tête, un jour que, sur le point de son départ pour l’Italie, il arrivoit de Paris, dont la singularité vérifiée par des événements qui ne se pouvoient prévoir alors m’engage à ne la pas omettre. Il étoit curieux de toutes sortes d’arts et de sciences, et, avec infiniment d’esprit, avoit eu toute sa vie la faiblesse si commune à la cour des enfants d’Henri II, que Catherine de Médicis avoit entre autres maux apportée d’Italie. Il avoit tant qu’il avoit pu cherché à voir le diable, sans y avoir pu parvenir, à ce qu’il m’a souvent dit, et à voir des choses extraordinaires, et savoir l’avenir. La Sery avoit une petite fille chez elle de huit ou neuf ans, qui y étoit née et n’en étoit jamais sortie, et qui avoit l’ignorance et la simplicité de cet âge et de cette éducation. Entre autres fripons de curiosités cachées, dont M. le duc d’Orléans avoit beaucoup vu en sa vie, on lui en produisit un, chez sa maîtresse, qui prétendit faire voir dans un verre rempli d’eau tout ce qu’on voudroit savoir. Il demanda quelqu’un de jeune et d’innocent pour y regarder, et cette petite fille s’y trouva propre. Ils s’amusèrent donc à vouloir savoir ce qui se passoit alors même dans des lieux éloignés, et la petite fille voyoit, et rendoit ce qu’elle voyoit à mesure. Cet homme prononçoit tout bas quelque chose sur ce verre rempli d’eau, et aussitôt on y regardoit avec succès.

Les duperies que M. le duc d’Orléans avoit souvent essuyées rengagèrent à une épreuve qui pût le rassurer. Il ordonna tout bas à un de ses gens, à l’oreille, d’aller sur-le-champ à quatre pas de là, chez Mme de Nancré, de bien examiner qui y étoit, ce qui s’y faisoit, la position et l’ameublement de la chambre, et la situation de tout ce qui