Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/215

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s’y passoit, et, sans perdre un moment ni parler à personne, de le lui venir dire à l’oreille. En un tournemain la commission fut exécutée, sans que personne s’aperçût de ce que c’étoit, et la petite fille toujours dans la chambre. Dès que M. le duc d’Orléans fut instruit, il dit à la petite fille de regarder dans le verre qui étoit chez Mme de Nancré et ce qu’il s’y passoit. Aussitôt elle leur raconta mot pour mot tout ce qu’y avoit vu celui que M. le duc d’Orléans y avoit envoyé. La description des visages, des figures, des vêtements, des gens qui y étoient, leur situation dans la chambre, les gens qui jouoient à deux tables différentes, ceux qui regardoient ou qui causoient assis ou debout, la disposition des meubles, en un mot tout. Dans l’instant M. le duc d’Orléans y envoya Nancré, qui rapporta avoir tout trouvé comme la petite fille l’avoit dit, et comme le valet qui y avoit été d’abord l’avoit rapporté à l’oreille de M. le duc d’Orléans.

Il ne me parloit guère de ces choses-là, parce que je prenois la liberté de lui en faire honte. Je pris celle de le pouiller à ce récit et de lui dire ce que je crus le pouvoir détourner d’ajouter foi et de s’amuser à ces prestiges, dans un temps surtout où il devoit avoir l’esprit occupé de tant de grandes choses. « Ce n’est pas tout, me dit-il ; et je ne vous ai conté cela que pour venir au reste ; » et tout de suite me conta que, encouragé par l’exactitude de ce que la petite fille avoit vu de la chambre de Mme de Nancré, il avoit voulu voir quelque chose de plus important, et ce qui se passeroit à la mort du roi, mais sans en rechercher le temps qui ne se pouvoit voir dans ce verre. Il le demanda donc tout de suite à la petite fille, qui n’avoit jamais ouï parler de Versailles, ni vu personne que lui de la cour. Elle regarda et leur expliqua longuement tout ce qu’elle voyoit. Elle fit avec justesse la description de la chambre du roi à Versailles, et de l’ameublement qui s’y trouva en effet à sa mort. Elle le dépeignit parfaitement dans son lit, et ce qui