Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/246

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dans les postes les plus avancés du siège avoit été entièrement retiré, sans aucun obstacle. On a su positivement depuis que le prince Eugène avoit tout à fait pris le parti de cesser l’attaque et de faire sa retraite, si Le Guerchois eût soutenu la quatrième et dernière charge dont j’ai parlé, à laquelle il succomba et fut pris par l’insigne lâcheté du brigadier et de la brigade qui refusa de le secourir. On sut encore que Turin n’avoit pas pour plus de quatre jours de poudre. Enfin rien ne manqua pour les transporter de la joie la plus complète, et nous de la plus cuisante douleur.

Il ne fallut pas moins qu’un enchaînement de miracles pour produire un si grand effet, dont un seul manqué, et lequel de tous que ce pût être, emportoit la ruine de l’entreprise. Vendôme, comme on l’a vu, en eut le premier déshonneur, que Marsin consomma et que La Feuillade combla. Le siège mal enfourné pour les attaques, languissamment poussé par les folles courses de La Feuillade ; les rivières et le Pô passés par la négligence de Vendôme ; l’obstacle du Taner, qui étoit invincible, méprisé par Marsin, pour le faux intérêt de La Feuillade ; la folie de se mettre dans des lignes mal faites, imparfaites, la plupart à peine tracées et d’une étendue à ne les pouvoir garder ; l’opiniâtreté de ne vouloir pas aller au-devant des ennemis, sur ce château de Pianezze, harassés et qu’on y auroit surpris dans l’embarras de passer un ruisseau difficile ; le servile succès de ce conseil de guerre ; l’inutilité de quarante-six bataillons, c’est-à-dire d’une armée entière, et pour le siège, et pour la garde des lignes, et pour le combat ; la triple désobéissance de La Feuillade pour arrêter ces troupes aux Capucins, malgré deux ordres exprès de M. le duc d’Orléans, et la troisième d’avoir arrêté d’autres troupes sur ce petit pont, que ce prince avoit envoyé chercher en diligence pour garnir ses lignes ; l’insigne confiance de Marsin, et son opiniâtreté jusqu’à l’instant de l’arrivée du prince Eugène, tout cela conduit par le seul intérêt de La Feuillade de ne