Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/254

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et à qui j’avois vendu ma compagnie, lui jeune cornette dans le même régiment, et assez d’officiers y furent tués ; et Murcé, lieutenant général, mourut de ses blessures, prisonnier à Turin. On n’y perdit pas plus de quinze cents hommes, mais beaucoup de blessés et de prisonniers.

Murcé étoit frère de Mme de Caylus, aussi disgracié de corps et d’esprit que sa sœur avoit l’un et l’autre charmants. Il étoit donc fils de Villette, lieutenant général de mer, cousin germain de Mme de Maintenon, et tous sous sa protection la plus particulière. Celui-ci étoit brave, et point mauvais officier, mais gauche, bête, inepte au dernier point. Il avoit avec nous, en Allemagne, un jeûne valet qui le suivoit toujours, qu’il appeloit Marcassin, et qui se moquoit de lui à cœur de journée. C’étoit l’année que Mme la duchesse de Bourgogne vint en France. Il arriva à Murcé trois grands malheurs dont il se plaignit amèrement à toute l’armée son cheval isabelle étoit mort, Marcassin l’avoit quitté, et sa femme n’étoit point femme d’honneur, il vouloit dire dame du palais. Marivault et Montgon le faisoient valoir ; c’étoit une farce continuelle de le voir avec eux, leurs questions, leur moqueuse admiration, leurs panneaux et ses sottises. Il avoit épousé la fille du lieutenant général de Chaumont en Bassigny ; il l’avoit menée à Strasbourg, où il avoit été employé l’hiver [comme] brigadier ; elle étoit laide, sotte et dévote à merveilles ; il n’y avoit qu’un ménage de gâté. Elle faisoit ses dévotions fort souvent, et la veille vouloit coucher seule. Murcé s’en plaignoit et rendoit compte à tout le monde du calendrier de sa femme. Il prioit à manger chez lui par grades ; et un homme de grade différent des conviés qui s’y présentoit quelquefois pour s’en divertir étoit sûrement éconduit, et Murcé lui en disoit la raison. Tant de fadaises, et d’un Murcé, pourront surprendre ici, mais voici pourquoi je les ai mises. Murcé étoit une espèce de La Feuillade de Mme de Maintenon. Elle le croyoit un homme merveilleux ; il lui rendoit compte des choses et des personnes de