Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/31

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quels étoient ces deux frères, et comment leur puissante et habile sœur étoit avec eux.

M. de Noirmoutiers, beau, très bien fait, avec beaucoup d’esprit et d’ambition, entra fort agréablement dans le monde, mais ce ne fut que pour le regretter. À dix-huit ou vingt ans, allant trouver la cour à Chambord, il tomba malade et se trouva si pressé à Saint-Laurent des Eaux qu’il ne put aller plus loin. La petite vérole se déclara, elle fut fâcheuse ; mais il en étoit presque guéri lorsqu’une nouvelle repoussa et lui creva les deux yeux. On peut imaginer quel fut son désespoir. Guéri et retourné à Paris, il y passa vingt ans entiers à ne pouvoir se résoudre de sortir de sa maison ni d’y recevoir aucune visite. Il y passa sa vie à se faire lire. Il avoit beaucoup de mémoire, il n’oublia jamais rien de tout ce qu’il avoit ouï dire ou lire ; et comme dans cette longue solitude son esprit, naturellement agréable et solide, avoit eu loisir de se former par ses lectures et par ses réflexions, il devint une excellente tête, et un homme de la meilleure compagnie quand enfin il en voulut bien recevoir. Le comte de Fiesque étoit son ami intime avant son aveuglement ; il ne voulut jamais le quitter et logea avec lui ; il le voyoit autant que la dissipation de la jeunesse, la guerre et la cour le lui pouvoient permettre, mais il fut longtemps sans avoir le crédit d’obtenir de lui de souffrir aucun de ses amis qui le venoient voir. Au bout de vingt ans, moins volage et plus souvent chez soi, il vint à bout d’apprivoiser son ami avec quelques-uns des siens, et de l’un à l’autre de lui amener compagnie. Noirmoutiers s’y accoutuma peu à peu, il parut aimable à tout ce qui fut admis. Le cercle s’élargit ; il s’y trouva des gens avec qui il lia plus qu’avec de simples connoissances. Quelques-uns lui parlèrent de leurs affaires soit de cœur et de monde, soit domestiques. Ils se trouvèrent bien de ses conseils ; en un mot, il devint à la mode d’être en commerce avec M. de Noirmoutiers, et tout ce qui le vit fut charmé de son esprit, de sa conversation