Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/322

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et de fait, sinon de droit, et les deux maréchaux de La Mark et de Fleuranges, père et fils, tous deux seigneurs de Sedan et de Bouillon. Mais le gros du monde ne va pas si loin, et pour peu qu’on ait lu quelques pages, on est étonné des idées qu’on voit prendre pied.

M. de Turenne obtint pour la vicomté de Turenne, qui avoit déjà de grands droits, de nouveaux privilèges qu’il fit augmenter par degrés. Sous prétexte de l’inimitié ouverte qui étoit entre lui et M. de Louvois déjà fort puissant par lui-même, outre l’appui du chancelier son père, il délivra cette vicomté de tout logement et de tout passage de gens de guerre, et par la connivence de M. Colbert, son ami, de tout le pouvoir des maltôtiers, même des intendants. En un mot, ces droits devinrent des droits régaliens[1] que sa mémoire a toujours maintenus, mais si à charge au dedans du royaume, et si voisins de la souveraineté, que le conseil de Louis XV, profitant du désordre des affaires de M. de Bouillon et de son mécontentement des principaux de sa vicomté, l’a achetée quatre millions de lui, et a cru avec raison qu’il faisoit une mauvaise affaire et le roi une fort bonne.

Parlant de M. de Louvois, voici une anecdote dont M. de Turenne sut profiter. Les secrétaires d’État avoient toujours écrit aux ducs monseigneur, et c’est aux soins et à l’autorité de ceux de cette époque qu’est due l’adresse de l’avoir fait réformer dans les lettres imprimées. Le pur hasard a laissé en existence trois lettres des 2 novembre 1663, 13 septembre 1665, 5 février 1666, de M. Colbert, alors ministre et contrôleur général des finances, qui avoit le même cérémonial que les secrétaires d’État, et qui le fut en 1669, à mon père à Blaye, qui lui écrit monseigneur dessus, dedans et au bas, en

  1. Les droits régaliens, ou droits qui étoient semblables à ceux des rois, étoient à l’époque féodale, le droit de faire la guerre, de rendre la justice, de battre monnaie, et de percevoir les impôts. La plupart des seigneurs jouissoient des droits régaliens.