Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/354

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voyoit peu d’apparence d’y faire rentrer une armée, désira d’aller en Espagne. Il n’auroit pu obéir à l’électeur de Bavière qu’on ne vouloit pas mécontenter en lui proposant ce supérieur. Villars avoit, comme on l’a vu, fait ses preuves de ne pas vouloir servir sous ce prince ; il étoit trop bien soutenu pour lui être sacrifié. Il ne resta donc que l’Espagne aux dépens du duc de Berwick, sur lequel l’expérience funeste de ce qui étoit arrivé avec le maréchal de Marsin fit donner au prince l’autorité absolue. Ce fut une grande joie pour lui que de continuer à commander une armée, et de la commander, non plus en figure, mais en effet. Il fit donc ses préparatifs. Le roi lui demanda qui il menoit en Espagne. M. le duc d’Orléans lui nomma parmi eux Fontpertuis. « Comment, mon neveu reprit le roi avec émotion, le fils de cette folle qui a couru M. Arnauld partout, un janséniste ! je ne veux point de cela avec vous. — Ma foi, sire, lui répondit M. d’Orléans, je ne sais point ce qu’a fait la mère ; mais pour le fils être jansénistes il ne croit pas en Dieu. — Est-il possible, reprit le roi, et m’en assurez-vous ? Si cela est, il n’y a point de mal ; vous pouvez le mener. » L’après-dînée même, M. le duc d’Orléans me le conta en pâmant de rire ; et voilà jusqu’où le roi avoit été conduit de ne trouver point de comparaison entre n’avoir point de religion et le préférer à être janséniste ou ce qu’on lui donnoit pour tel.

M. le duc d’Orléans le trouva si plaisant qu’il ne s’en put taire, on en rit fort à la cour et à la ville, et les plus libertins admirèrent jusqu’à quel aveuglement les jésuites et Saint-Sulpice pouvoient pousser. Leur art fut que le roi n’en sut nul mauvais gré à M. le duc d’Orléans ; qu’il ne lui en a jamais ni parlé, ni rien témoigné, et que Fontpertuis le suivit en toutes ses deux campagnes en Espagne. Il étoit débauché et grand joueur de paume, avec de l’esprit, fort ami de Nocé, de M. de Vergagne et d’autres gens avec qui M. le duc d’Orléans vivoit quand il étoit à Paris. Tout cela l’avoit fait goûter à ce prince. Le duc de Noailles [commandait]