Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/42

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prétexte, d’y voir les étrangers qui y abondoient, de discerner les plus considérables ou les plus importants, de lier avec eux, d’en tirer ce qu’il pourroit, et, de retour ici, d’en rendre compte au roi et de faire valoir ses découvertes, en sorte qu’il obtînt ordre de les suivre, et par ce moyen quelque commerce direct d’affaires avec le roi. Il fut trompé ; la guerre occupoit trop tout ce qu’il y avoit de considérable et d’important, pour qu’il pût trouver ce qu’il y cherchoit. À ces eaux, il ne vit d’un peu distingué qu’Hompesch, lors général-major dans les troupes de Hollande, et qui y monta presque à tout dans la suite, mais qui alors n’étoit pas du genre de ce que M. de Lauzun cherchoit, quoique à son retour il ne parlât que de lui, faute de mieux.

Son séjour à Aix-la-Chapelle ne fut pas long, faute de matière. Il revint par l’armée du maréchal de Villeroy qui le craignoit, et qui lui fit rendre tous les honneurs militaires comme à un seigneur qui avoit eu en chef le commandement de l’armée du roi en Irlande. Il le logea chez lui pendant trois jours qu’il demeura dans l’armée ; il lui fit voir les troupes et il lui donna des officiers généraux pour le promener : les deux armées étoient lors comme en présence, extrêmement proches, et rien ne les séparoit. On s’attendoit donc à une bataille qu’on n’ignoroit pas que le roi désiroit, et c’étoit ce qui avoit donné envie à M. de Lauzun d’aller en cette armée. Ceux à qui le maréchal de Villeroy le remit pour lui faire les honneurs du camp le promenèrent à vue des grandes gardes de l’armée ennemie ; et, fatigués de ses questions et de ses propos, auxquels ils n’étoient pas accoutumés, l’exposèrent fort au coup de pistolet, et même à être enveloppé, folie qu’ils eussent bien payée, puisqu’ils l’auroient été avec lui. Il étoit très brave, et avec tout son feu il avoit une valeur froide qui connoissoit le péril dans tous ses divers degrés, qui ne s’inquiétoit d’aucun, qui reconnoissoit tout, remarquoit tout, comme s’il eût été dans sa chambre. Comme il n’avoit là qu’à voir