Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/442

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bruit en couroit. Il passa à la vue de cette place, croyant que sa présence feroit quelque soulèvement dans la place ; mais Fargues me dit que sachant qu’il ne seroit point assiégé, il jugea qu’il n’avoit qu’à se défendre d’une révolte ; qu’il avoit assemblé toute sa garnison, et leur ayant dit que le roi venoit pour les assièger, que pour lui il étoit résolu de se défendre, et qu’il laissoit la liberté à ceux qui voudroient de sortir ; que tous lui avoient juré de mourir avec lui, et que, profitant de cette disposition, il avoit mis ces troupes dans les dehors, et étoit demeuré dans la place, craignant seulement un coup de main et d’être assassiné ; que M. le maréchal d’Hocquincourt escarmoucha avec la cavalerie, et que depuis il n’avoit songé qu’à ses fortifications, et à maintenir l’ordre et la police dans sa place ; que La Rivière et lui étoient dans des chambres séparées aux deux bouts d’une salle commune, dans laquelle il y avoit un corps de garde de pertuisaniers ; que jamais l’un ne dormoit que l’autre ne fût éveillé ; qu’ils n’alloient jamais en un même lieu ensemble ; et enfin Fargues m’ayant expliqué sa conduite, fait voir ses magasins, il me parut homme de tête et de grand ordre, et chacun convient qu’il a soutenu sa révolte avec beaucoup d’habileté, n’ayant ni naissance, ni condition, ni charge, ni considération qui le distinguât pour se soutenir.

« L’on dit que, durant son procès, il a dit souvent qu’il n’avoit commis qu’une seule faute, qui étoit de s’être laissé prendre. Il a déclaré, après son jugement, qu’il entretenoit commerce avec Saint-Aulnays, et qu’il le pressoit de se retirer en Espagne.

« Cette condamnation porte pour vol, péculat, faussetés et malversations commises au pain de munition [1], etc. Chacun a renouvelé à cette occasion les anciennes histoires de penderie de M. de Machault, et que celui-ci ne dégénérera point d’un nom si illustre. »

Ce fut en effet l’intendant de Picardie Machault qui condamna Fargues. Il avoit été nommé tout exprès pour cette exécution, dont ne voulut pas se charger son prédécesseur Courtin. « L’affaire de Fargues, écrit Olivier d’Ormesson, qui tenoit ces détails de Turenne [2], est l’occasion de ce changement [3] ; car M. de Machault va pour le juger souverainement, et M. Courtin l’avoit refusé. »

Olivier d’Ormesson, après avoir rappelé que Fargues fut pendu à Abbeville le vendredi 27 mars, continue ainsi : « L’on remarquoit qu’ayant été conduit à Hesdin, il avoit été mis dans la prison avec les mêmes fers et dans le même lieu où il avoit retenu prisonnier le

  1. Ce ne fut donc pas pour meurtre, comme le dit Saint-Simon, que Fargues fut condamné à mort.
  2. Journal d’Olivier d’Ormesson, IIe partie, fol. 87 verso.
  3. Machault fut transféré de l’intendance de Champagne à celle de Picardie.