Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/55

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Le nonce et moi étions dans cette confidence. Nous l’avions souvent averti du danger, mais le désir du cardinalat et les espérances que cette cour fait si aisément naître et remplit si difficilement, étoient des aiguillons auxquels il ne put résister. Le pape, dans une lettre qu’il lui fit écrire, lui parla de saint Trophime, l’apôtre et le premier évêque d’Arles. L’archevêque lui écrivit là-dessus pour lui en faire désirer des reliques ; il n’y réussit que trop. Le pape lui écrivit lui-même et lui en demanda. L’archevêque lui en envoya avec une belle lettre et il en reçut un bref de remerciements. Détacher des reliques du principal corps saint qui repose à Arles et ce commerce subséquent si près à près, ne put demeurer secret ; l’affaire fut éventée. Torcy, par ordre du roi, en écrivit très-fortement à l’archevêque, et en parla au nonce sur le même ton, qui vint tout courant me le conter. Nous eûmes grand’peine à le tirer d’affaire ; il en fut pourtant quitte pour une dure réprimande et pour un ordre bien exprès de prendre garde de plus avoir aucun commerce à Rome, sous peine de l’indignation du roi. L’archevêque fit l’ignorant, le piteux, le désespéré d’avoir déplu au roi pour une bagatelle qu’il avoit crue innocente, protesta merveilles ; mais il ne quittoit pas prise aisément. Il se croyoit avancé à Rome pour ses espérances ; c’étoit les perdre que de cesser de les cultiver. L’excès d’ambition lui fit continuer son commerce. Il essaya de se faire un mérite à Rome de ce qu’il venoit de lui arriver, mais il prit de meilleures précautions pour se cacher, et si bonnes qu’il ne fut plus découvert. Il eut peine pourtant à effacer l’impression que le roi avoit prise ; le secours quoique assez froid de sa belle-soeur en vint à bout par Mme de Maintenon.

La Feuillade avoit eu ordre de mener en Lombardie dix bataillons et trois escadrons de dragons. Il n’avoit plus rien à faire en Savoie et il alloit en pays ami. Vendôme, que son beau-père servoit si bien, n’avoit garde de lui faire sentir le poids de son commandement. Il envoya d’Estaing au-devant