Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/103

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heures plus tôt, et pour des cas semblables si aisés à se retrouver en des occasions différentes d’une guerre allumée partout et de tous les côtés, n’eut pas la force de se déclarer entre les deux, ni de dire une seule parole. Le torrent fut si impétueux que Pontchartrain n’eut qu’à baisser la tête, se taire et le laisser passer. Telle étoit la faiblesse du roi pour ses ministres. On avoit déjà vu, en 1702, le duc de Villeroy apporter à Marly l’importante nouvelle de la bataille de Luzzara, s’y cacher, parce que Chamillart n’y étoit pas, laisser le roi et toute la cour dans l’inquiétude sans oser aborder, aller chercher le ministre, et ne venir avec lui que longtemps après que la nouvelle de son arrivée s’étoit répandue et avoit mis tout le monde en l’air, sans que le roi l’eût trouvé mauvais, ni seulement témoigné là-dessus la moindre chose, et fit au contraire le duc de Villeroy lieutenant général avant de le renvoyer. Par cette heureuse délivrance, le voyage des princes fut rompu. Ils étoient prêts à partir ; ils ne devoient avoir avec eux que six chevaux de main, et n’être accompagnés que de Razilly et Denonville, qui avoient été leurs sous-gouverneurs, et d’O et de Gamaches que le roi avoit attachés à Mgr le duc de Bourgogne, et du fils de Chamillart. Le duc de Berwick reçut ordre par un courrier de rebrousser chemin vers M. le duc d’Orléans.

Mais voici une autre sorte d’extravagance qu’il faut que je raconte avant de quitter l’affaire de Provence. Tessé s’en trouvoit chargé : c’étoit la plus capitale de l’État dans un pays où rien n’étoit préparé, et où on manquoit de tout, parce qu’on ne s’y étoit pas attendu ; des secours en tout genre fort éloignés, la flotte des ennemis et une armée sur les bras commandée par les deux plus habiles capitaines, les plus audacieux, les plus grands ennemis du roi, et s’ils réussissoient le royaume pris à revers dans des provinces mécontentes, tout ouvert de là jusque dans Paris et les armées ennemies à toutes les frontières qui n’attendoient que le signal. Un général chargé de parer un si grand coup et