Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’on le peut juger à ce portrait, fit les haut cris, et ce qui mit le comble à son désespoir, c’est qu’il n’en fut autre chose. Là commença son déclin, qui fut rapide et court. Dès qu’on ne le craignit plus, il sentit combien ses insolences avoient révolté tout le monde ; on fut ravi de son aventure, on trouva qu’il l’avoit bien méritée ; les ministres, les courtisans du haut parage furent ravis d’en être délivrés ; chacun, au lieu de le protéger, contribua à sa chute ; et quand de dépit il se fut retiré, ils se gardèrent bien de le faire revenir [1]. Accoutumé à nager dans le grand, il n’avoit fait aucuns retours sur lui-même, ne doutant pas d’une fortune proportionnée à l’importance de ce qui lui passoit par les mains. Tout à coup il se trouva tombé de tout, et sans autre bien que la rage dans le cœur. Le vieux maréchal de Villeroy, grand courtisan du cardinal Mazarin, et qui avoit fort pratiqué Bartet chez lui, en eut plus de pitié que ce ministre qui survécut M. de Candale deux ans. Quand Bartet ne sut plus où donner de la tête, il le retira chez lui auprès de Lyon dans un beau lieu, sur le bord de la Saône, qu’ils avoient acheté et appelé Neuville ; il lui fournit là quelque subsistance, que l’archevêque de Lyon et le second maréchal de Villeroy continuèrent jusqu’à sa mort. Il eut là tout loisir, pendant plus de quarante ans, de réflexion et de pénitence.

En ce même mois de septembre mourut à Grenoble le cardinal Le Camus, à soixante-seize ans, également connu par son esprit, ses débauches, son impiété, sa pénitence, la fortune qui en résulta, l’ambition avec laquelle il la reçut et en usa, et le châtiment qu’il en porta jusqu’au dernier jour de sa vie. Il n’est guère de problème qui présente plus de choses opposées que la conduite de ce prélat, depuis le

  1. Bartet ne quitta pas la cour immédiatement. Ses lettres à Mazarin prouvent, au contraire, que plusieurs années après l’événement dont parle Saint-Simon, il était encore le confident intime du cardinal. Voy. les notes placées à la fin de ce volume.