Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le roi d’Angleterre arriva à Saint-Germain le vendredi 20 avril, et vint avec la reine le dimanche suivant à Marly, où le roi était. Je fus curieux de l’entrevue. Il faisoit fort beau. Le roi, suivi de tout le monde, sortit au-devant. Comme il alloit descendre les degrés de la terrasse, et que nous voyions la cour de Saint-Germain au bout de cette allée de la Perspective, qui s’avançoit lentement, Middleton seul s’approcha du roi d’un air fort remarquable, et lui embrassa la cuisse. Le roi le reçut gracieusement, lui parla à trois ou quatre reprises, le regardant à chaque fois fixement, à en embarrasser un autre, puis s’avança dans l’allée. En approchant les uns des autres, ils se saluèrent, puis les deux rois se détachèrent en même temps, chacun, de sa cour, doublèrent un peu le pas assez également l’un et l’autre, et avec la même égalité s’embrassèrent étroitement plusieurs fois. La douleur étoit peinte sur les visages de tous ces pauvres gens. Le duc de Perth fit après sa révérence au roi, qui le reçut honnêtement, mais seulement comme un grand seigneur. On s’avança après vers le château avec quelques mots indifférents qui mouroient sur les lèvres. La reine avec les deux rois, entrèrent chez Mme de Maintenon, la princesse demeura dans, le salon avec Mme la duchesse de Bourgogne et toute la cour. M. le prince de Conti, saisi de sa curiosité naturelle, s’empara de Middleton ; le duc de Perth prit le duc de Beauvilliers et Torcy. Le peu d’autres Anglois, plus accueillis que d’ordinaire pour les faire causer, se dispersèrent parmi les courtisans, qui ne tirèrent rien de leur réserve qu’une ignorance affectée qui disoit beaucoup, et des plaintes générales du sort et des contretemps. Les deux rois furent longtemps tête à tête, pendant que Mme de Maintenon entretenoit la reine. Ils sortirent au bout d’une heure ; une courte et triste promenade suivit, qui termina la visite.

Middleton fut violemment soupçonné d’avoir bien averti lés Anglois. Ils ne firent pas, semblant de se douter de rien,