Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/231

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hasarder pour la lui arracher du vivant du roi, et pour le mettre dans le plus triste état où il leur soit possible de le réduire. Je pense, monsieur, continuai-je, avoir démontré leur intérêt ; ce ne seroit pas les connoître que de douter de leurs désirs quand leur conduite explique si parfaitement leurs vues ; et ce seroit être aveugle sur l’intérêt de tout ce qui est monstrueux à l’égard de Dieu et même des hommes, que de douter du tremblement des bâtards, à l’égard d’un prince aussi religieux que Mgr le duc de Bourgogne, pour leurs rangs qui blasphèment, et leurs établissements qui effrayent. Vous connoissez l’esprit, le manège, les artifices, l’application continuelle de M. du Maine. Elles n’ont de contradictoire que la timidité, la passion pour lui de Mme de Maintenon, et le foible du roi pour l’un et l’antre ; les ténèbres, de plus, de ses manèges, la rassurent ; l’audace et l’esprit, la position, les succès de M. de Vendôme le fortifient ; la fougue et l’impétuosité de sa femme le pousse. Toutes ces vérités sont si claires que vous n’en sauriez nier pas une. Vous n’avez qu’un retranchement, c’est la possibilité d’une exécution aussi étrange à concevoir qu’un anéantissement d’un prince tel en tout genre qu’est Mgr le duc de Bourgogne.

« Le monstrueux, monsieur, est qu’un tel projet se puisse présenter à l’esprit. Quelque difficile qu’en soit l’exécution, elle l’est moins que d’oser se la mettre dans la tête. Il faut pour arriver à ce but des conjonctures qui ne se peuvent rencontrer dans l’uni de la vie ordinaire de la cour ; mais à la guerre, à la tête de troupes découragées, sans discipline, manquant de force choses, dans la funeste habitude des plus tristes revers, avec un général dont la licence, la puissance, l’habitude lui ont acquis le cœur du soldat et du bas officier, la terreur des autres, et personnellement intéressé à perdre le jeune prince, avec toute l’audace et les appuis qui le peuvent assurer, les occasions s’en peuvent trouver, et creuser de ces abîmes auxquels il n’est guère naturel de s’attendre