Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/233

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même. Alors le cri de l’armée retentira dans la ville, dans le royaume, dans la cour. Monseigneur sera paqueté contre son fils, et le premier à lui jeter la pierre ; le courtisan, qui craint déjà son austérité, sera ravi de pousser de main en main cette pierre qu’il ne craindra plus, maniée par Monseigneur même. Si cela arrive, que jugez-vous que feront les personnes que j’ai nommées ? Quel parti n’en tireront-elles pas ? et avec quel art ne feront-elles pas jouer tous leurs ressorts de derrière les tapisseries ? Mme la duchesse de Bourgogne pleurera, mais il faudra des raisons, non des larmes ; qui les produira contre ce torrent ? qui osera se montrer à la cabale pour en être sûrement la victime tôt ou tard ? Mme de Maintenon sera affligée pour sa princesse, mais persuadée par M. du Maine. Le roi outré écoutera les traits adroits, ménagés, obscurs de ce cher fils de ses amours, et les principaux valets intérieurs [seront] séduits par la familiarité de Vendôme, par les caresses de M. du Maine, et de tout temps blessés du sérieux du jeune prince avec eux, si fort en contraste avec les manières du roi et de Monseigneur pour eux. La mode, le bel air sera d’un côté avec un flux de licence, le silence de l’autre et la solitude. Tout cela, monsieur, ne me paroît ni impossible ni éloigné, et si, indépendamment de tant de machines manifestement dressées par l’intérêt le plus pressant, il arrive une aventure malheureuse en Flandre, de celles dont l’Italie, l’Allemagne, la Flandre même n’ont que trop et trop fraîchement donné les plus cruelles expériences, vous verrez M. de Vendôme en sortir glorieux, et Mgr le duc de Bourgogne perdu, et perdu à la cour, en France et dans toute l’Europe. »

M. de Beauvilliers, avec toute sa douceur et sa patience, eut grand’peine à me laisser dire jusqu’à la fin ; puis, avec une gravité sévère, me reprit de me laisser aller de la sorte à des idées bizarres et sans possibilité, dont le fondement n’étoit en moi que le dégoût des défauts de M. de Vendôme, l’aversion de son rang et de sa naissance, et l’impatience de