Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/266

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le cœur de tristesse ; elle étoit toute faite pour être crieur d’enterrement. Cet extérieur ne trompoit pas, rien de si ennuyeux ni de si affligeant que tout le reste. Il se mit à jouer gros jeu et à perdre ; il devint amoureux de la troisième fille de M. et de Mme de Navailles, qui ne voulurent point de lui. Sa persévérance, le désir de la fille qui y répondoit, les instances de ses deux soeurs, celles du duc de Montausier vainquirent enfin la résistance. La première nuit des noces ne fut pas modeste. Ils passèrent au lit trois jours et trois nuits, et cela se réitéra souvent dans la suite. Pompadour abandonna la guerre et puis la cour, fit le plongeon au grand monde, et s’enterra dans une entière obscurité. Il vendit son gouvernement et mit ses affaires dans le plus grand désordre. Sans se lasser l’un de l’autre, l’ennui leur prit enfin de leur état, leur fille leur parut propre à les en tirer, en la mariant, non pour elle, mais pour eux.

La duchesse douairière d’Elboeuf, qui les aimoit par les respects infinis qu’ils, lui rendoient, vivoit beaucoup avec Mme de Dangeau à la cour, et lui faisoit la sienne par rapport à Mme de Maintenon. Elle imagina ce mariage pour leur plaire et pour s’ancrer de plus en plus. Dangeau, riche et jouissant de gros du roi, étoit en état d’attendre les biens d’une belle-fille dont l’alliance l’honoroit infiniment, et à laquelle il ne seroit pas parvenu s’il y avoit eu du bien présent. C’étoit à l’âge de Mme de Maintenon une occasion à ne pas perdre pour obtenir des grâces qui lui fissent faire un mariage sans s’incommoder. Mme de Maintenon aimoit extrêmement Mme de Dangeau, et plût à Dieu qu’elle n’eût approché d’elle que des femmes de ce caractère ! Elle n’osoit oublier d’avoir été accueillie par la mère de Mme de Navailles, et chez elle longtemps en arrivant d’Amérique, et elle se piquoit d’amitié pour Mme d’Elboeuf. Par la même raison elle ne pouvoit ne pas favoriser Mme de Pompadour sa soeur. Le mariage se fit donc sans rien donner à la fille, seule héritière, en tirant le père et la mère d’obscurité, qu’on vit