Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/270

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la prétendue, dans la frayeur de l’avarice de sa mère qui ne la marieroit point et la laisseroit pourrir dans un couvent. Elle avoit plus de vingt-quatre ans, elle, avoit beaucoup d’esprit, de ces esprits hardis, décidés, entreprenants, résolus. Le prince de Léon en avoit plus de vingt-huit. On a vu, il n’y a pas longtemps, quel étoit son caractère.

Mlles de Roquelaure étoient au faubourg Saint-Antoine, aux Filles de la Croix, où M. de Léon avoit eu la permission de voir celle qu’il devoit épouser. Dès qu’il sentit leur mariage rompu il courut au couvent, il l’apprit à Mlle de Roquelaure, fit le passionné, le désespéré ; lui persuada que jamais leurs pères et mères ne les marieroient, et qu’elle pourriroit au couvent. Il lui proposa de n’en être pas les dupes, qu’il étoit prêt à l’épouser si elle vouloit y consentir ; que ce n’étoit point eux qui avoient imaginé leur mariage, mais leurs parents qui l’avoient trouvé convenable, et que leur avarice rompoit ; que, dans quelque colère qu’ils entrassent, il faudroit bien qu’ils s’apaisassent, et qu’ils demeureroient mariés et affranchis de leurs caprices ; en un mot, il lui en dit tant qu’il la persuada, et encore qu’il n’y avoit pas un moment à perdre. Ils convinrent de leurs faits pour que la fille pût recevoir de ses nouvelles, et il s’en alla donner ordre à l’exécution de ce projet. Mme de Roquelaure et Mme de La Vieuville, qui fut depuis dame d’atours de Mme la duchesse de Berry, étoient de tout temps les deux doigts de la main, et Mme de La Vieuville étoit l’unique personne à qui, ou à l’ordre de qui Mme de Roquelaure avoit permis à la supérieure de la Croix de confier ses filles, ensemble ou séparément, toutes les fois qu’elle les irait prendre ou qu’elle les enverroit chercher. M. de Léon, qui en étoit instruit, fait ajuster un carrosse de même forme, grandeur et garniture semblable à celui de Mme de la Vieuville, avec ses armes et trois habits de sa livrée, un pour le cocher, deux pour les laquais ; contrefoit une lettre de Mme de La Vieuville avec un cachet de ses armes ; et envoie