Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/290

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Villars arriva avec sa femme presque à ses journées, fort lentement. Il parut outré de changer de pays et d’armée. Il lui fâchoit fort de quitter de si abondantes sauvegardes, et n’étoit guère plus content de ne pouvoir traîner sa femme après lui. Elle en étoit ravie. Il lui échappa assez plaisamment qu’elle avoit quitté le service. Villars assura le roi publiquement que tous ses bataillons en Allemagne excédoient le complet de cinq cents hommes chacun, et qu’ils étoient tous beaux à merveilles ; puis s’étant mis peu à peu sur la morale, et toujours en public et parlant au roi, il dit tout haut que la meilleure maxime pour les rois étoit de faire espérer beaucoup et de donner peu. Je laisse à penser comment ce mot fut reçu d’un compagnon de sa sorte, élevé et comblé au point où il se trouvoit. L’électeur et Berwick ne trouvèrent pas leur armée à beaucoup près telle que Villars la publioit, mais ce dernier ne s’étoit pas contraint de dire publiquement, et plus d’une fois, en parlant des puissances, que, s’il ne leur falloit que du plat, de la langue, il leur en donneroit tout leur soûl. À cette fois, il tint exactement parole.

Les Impériaux furent lents à s’assembler. Le duc d’Hanovre, depuis roi d’Angleterre, commandoit leur armée. Il comptoit qu’elle seroit nombreuse et que le prince Eugène l’y suivroit bientôt. Ce dernier partit fort tard de Vienne, s’amusa chez divers princes en chemin, forma un puissant corps sur la Moselle, et sourd aux cris d’Hanovre, se fit joindre par de gros détachements de son armée, par des ordres précis de l’empereur, qui eut peine à apaiser M. d’Hanovre piqué et voulant s’en retourner chez lui. Pour le dire de suite, dès que cette armée de la Moselle ne put plus donner soupçons de torquets, l’électeur et Berwick laissèrent à du Bourg la garde des lignes d’Haguenau, avec le nécessaire pour les défendre contre les entreprises du duc d’Hanovre, et marchèrent avec tout le reste sur la Moselle, où il se forma un gros orage dont on ne put deviner la cause,