Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/327

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La cabale, d’abord étourdie du fâcheux événement, en attendoit plus de détail et de lumière, et, pour éviter les faux pas, s’arrêta dans les premiers moments à écouter. Sentant bientôt le danger de son héros, elle se rassura, jeta des propos à l’oreille pour sonder comment ils seroient reçus, et prenant aussitôt plus d’audace s’échappa tout haut par parcelles. Encouragés par cet essai, qui ne trouva pas de forte barrière parmi le monde étonné et sans détail de rien, ils poussèrent la licence, ils hasardèrent des louanges de Vendôme, des disputes vives contre quiconque ne se livroit pas à leurs discours, et, s’encourageant par le succès, osèrent passer au blâme de Mgr le duc de Bourgogne, et tôt après aux invectives, parce que leurs premiers propos n’avoient pas été réprimés. Il n’y avoit que le roi ou Monseigneur qui l’eussent pu. Le roi les ignoroit encore, Monseigneur étoit investi, et n’étoit pas pour oser imposer ; le gros des courtisans, dans les ténèbres sur le détail de l’affaire, et dans la crainte des personnages si accrédités et de si haut parage, ne savoient et n’osaient répondre. Ils se contentoient de demeurer dans l’attente et dans l’étonnement. Cela haussa de plus en plus le courage de la cabale. Faute de détails que Vendôme n’avoit garde de fournir, on osa semer des manifestes dont l’artifice, le mensonge, l’imposture ne gardèrent aucun ménagement, et furent poussés jusqu’à ce qui ne peut avoir d’autre nom que celui d’attentat. Le premier qui parut fut une lettre d’Albéroni, personnage duquel j’ai assez parlé pour n’avoir pas besoin ici de le faire connoître. Elle est telle qu’elle ne peut être renvoyée parmi les Pièces. La voici :

« Laissez, monsieur, votre désolation, et n’entrez pas dans le parti général de votre nation, laquelle, au moindre malheur qui est arrivé, croit que tout est perdu. Je commence par vous écrire que tous les discours qui se tiennent contre M. de Vendôme sont faux, et il s’en moque. À l’égard des trois marches qu’on dit qu’il s’est laissé dérober, et