Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/329

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champ sa résolution ferme de vouloir mettre l’armée derrière le canal qui est entre Gand et Bruges, malgré l’avis de tous les officiers généraux qui l’ont persécuté trois jours durant de l’abandonner, disant qu’il falloit tâcher de joindre M. de Berwick. Une telle fermeté a sauvé l’armée du roi et le royaume, car l’épouvante qui étoit dans l’armée auroit causé une esclandre bien pire que celle de Ramillies, au lieu que M. de Vendôme se mettant derrière le canal, il a soutenu Gand et Bruges qui est un point essentiel, rassuré les esprits, et donné confiance aux troupes, a donné lieu aux officiers de se reconnoître et de reconnoître leur terrain, enfin a mis les ennemis dans l’inaction, et vous pouvez être sûr que, s’ils veulent faire un siège, il faut qu’ils fassent celui d’Ypres, de Lille, de Mons ou de Tournai. Or voyez quelles places et si jamais ils attaquent quelques-unes de celles-là, M. de Vendôme prendra Audenarde, se rendra maître de tout l’Escaut, et vous n’avez qu’à regarder la carte pour voir combien les ennemis seroient embarrassés. Voilà la pure vérité, la même que M. de Vendôme a mandée au roi, et que vous pouvez débiter sur mon compte. Je suis Romain, c’est-à-dire d’une race à dire la vérité, in civitate omnium gnara, et nihil reticente, dit notre Tacite. Permettez-moi après cela que je vous dise, avec tout le respect que je vous dois, que votre nation est bien capable d’oublier toutes les merveilles que ce bon prince a faites dans mon pays, qui rendront son nom immortel et toujours révéré, injuriarum et beneficiorum aeque immemores ; mais le bon prince est fort tranquille, sachant qu’il n’a rien à se reprocher et que, pendant qu’il a suivi son sentiment, il a toujours bien fait. »

Voilà toute la lettre qui fut incontinent distribuée partout. Il s’agit maintenant d’en faire l’analyse, quoique le mensonge et l’artifice en sautent aux yeux.

Il faut avouer que, pour insinuer mieux ses faussetés, elle commence par une vérité. Il n’est que trop vrai que, dès qu’il arrive un malheur aux François, ils croient tout perdu