Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/365

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eu en France. Mais ils visoient tous deux à entrer dans le conseil, avec une inspection sur la guerre immédiate et supérieure à celui qui succéderoit à Chamillart.

Plein de ces espérances, d’Antin couroit légèrement sa carrière, lorsque Mme la Duchesse s’aperçut que sa liaison avec Mme la duchesse de Bourgogne passoit le jeu et le frivole, et s’en piqua extrêmement. Dans une taille contrefaite, mais qui s’apercevoit peu, sa figure, étoit formée par les plus tendres amours, et son, esprit étoit fait pour se jouer d’eux à son gré sans en être dominé. Tout amusement sembloit le sien ; aisée avec tout le monde, elle avoit l’art de mettre chacun à son aise ; rien en elle qui n’allât naturellement à plaire avec une grâce nonpareille jusque dans ses moindres actions, avec un esprit tout aussi naturel, qui, avoit mille charmes. N’aimant personne, connue pour telle, on ne se pouvoit défendre de la rechercher ni de se persuader jusqu’aux personnes qui lui étoient les plus étrangères, d’avoir réussi auprès d’elle. Les gens même qui avoient le plus lieu de la craindre, elle les enchaînoit, et ceux qui avoient le plus de raisons de la haïr avoient besoin de se les rappeler souvent, pour résister à ses charmes. Jamais la moindre humeur, en aucun temps, enjouée, gaie, plaisante avec le sel le plus fin, invulnérable aux surprises et aux contretemps, libre dans les moments les plus inquiets et les plus contraints, elle avoit passé sa jeunesse dans le frivole et dans les plaisirs qui, en tout genre et toutes les fois qu’elle le put allèrent à la débauche. Avec ces qualités, beaucoup d’esprit, de sens pour la cabale et les affaires, avec une souplesse qui ne lui coûtoit rien ; mais peu de conduite pour les choses de long cours, méprisante, moqueuse piquante, incapable d’amitié et fort capable de haine, et alors, méchante, fière, implacable, féconde en artifices noirs et en chansons les plus cruelles dont elle affubloit gaiement les personnes qu’elle sembloit aimer et qui passoient leur vie avec elle. C’étoit la sirène des poètes, qui