Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/368

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disgrâce, mais en effet ennuyé de voir sa belle-fille renfermée chez Mme la duchesse d’Orléans, et jaloux de voir quelques jeunes femmes, et peut-être Mme de Saint-Simon et Mme de Lauzun approchées de Mme la duchesse de Bourgogne à qui on en laissoit voir très peu en cette familiarité, demanda la même faveur pour sa belle-fille à Mme de Maintenon, qui la lui accorda aussitôt. La maréchale d’Estrées, qui toujours s’en l’étoit de quelqu’un comme un amant d’une maîtresse, se prit là d’une telle amitié pour la duchesse de Villeroy, qu’elle ne la pouvoit quitter. Les plus légères absences étoient réparées par des lettres et par des présents. Cette intimité lia la duchesse de Villeroy avec toutes les Noailles et avec Mme d’O, et bientôt par elles avec Mme la duchesse de Bourgogne, si fortement, que le goût de la maréchale d’Estrées ayant changé bientôt après, comme cela lui arrivoit toujours, la duchesse de Villeroy demeura de son chef une espèce de favorite, et la demeura toujours depuis.

Elle se ménagea avec soin, avec sagesse et prudence, et même avec dignité. C’étoit une personne de fort peu d’esprit, mais de sens, de vues, de conduite, haute, courageuse, franche et vraie, fort altière, fort inégale, fort pleine d’humeur, même volontiers brutale, qui aimoit fort peu de personnes, mais qui n’en étoit que plus attachée à ce qu’elle aimoit, et qui, à l’exemple de son oncle l’archevêque de Reims, se rendoit si nettement et si publiquement justice sur sa naissance, qu’elle en embarrassoit très souvent. Elle étoit grande, un peu haute d’épaules, de vilaines dents et un rire désagréable avec le plus grand air, le plus noble, le plus imposant, et un visage très singulier et fort beau. Personne ne paroît tant une cour et un spectacle, et elle dansoit fort bien. Le roi, qui, avec des sentiments fort opposés à ceux de sa jeunesse, conservoit toujours un goût et un penchant pour les femmes aimables, mit la duchesse de Villeroy des fêtes et des voyages de Marly, d’abord par complaisance