Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/406

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décharger sur le roi, et avoir encore une fois ses ordres précis ; que c’est ce qui lui avoit fait dépêcher ce courrier de Mons-en-Puelle. De là ils passoient aux raisonnements politiques, discutoient le peu d’aptitude d’un prince si scrupuleux pour commander des armées et gouverner un royaume ; rendirent autant qu’ils purent sensibles leurs craintes et leur opinion. De là tombant sur quelques amusements véritablement trop petits, et sur d’autres déplacés de ce prince, ils exagérèrent quelques tenues de table trop longues, et quelques parties de volant, et tournèrent en ridicule des mouches guêpes crevées, un fruit dans de l’huile, des grains de raisin écrasés en rêvant, et des propos d’anatomie, de mécanique et d’autres sciences abstraites, surtout un particulier trop long et trop fréquent avec le P. Martineau, son confesseur. Pour rendre le prince plus petit et plus incapable, voici l’histoire qu’ils inventèrent sur du vrai qu’ils firent courir partout.

Le P. Martineau eut la curiosité de visiter les retranchements du duc de Marlborough à la suite des princes, lorsque avec les ducs de Vendôme et de Berwick, Puységur et fort peu d’autres officiers généraux et Chamillart, ils les longèrent de près, comme je l’ai raconté, pour examiner si et par où ils pouvoient être attaqués. À ce fait véritable, voici ce qu’ils y ajoutèrent de parfaitement faux. C’est que le P. Martineau étoit si affligé de ce que Mgr le duc de Bourgogne s’étoit opposé à cette attaque, qu’il l’avoit mandé à ses amis, dans la crainte même d’être accusé d’avoir pu donner un avis si éloigné de son sentiment. Non contents d’un si noir artifice, et qui mettoit en valeur et en fait de guerre un prince si fort au-dessous de son confesseur, ils osèrent répandre que Martineau avoit eu peur qu’on ne se prît à lui dans l’armée d’un parti qui la désespéroit, et qu’il n’avoit pu s’empêcher de s’y laisser entendre que s’il en avoit été cru, les retranchements auroient été attaqués. La calomnie devint publique. Le P. de La Chaise qui en fut averti, et qu’il