Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/454

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conseiller de la province dont je suis [1], avec qui j’ai une querelle de famille il y a plus de dix ou douze ans, je n’ai plus douté qu’ils ne fussent là pour m’assassiner. Je leur ai donc demandé, comme ils sont venus à moi le pistolet et le poignard à la main, s’ils vouloient me tuer, et leur ai dit même qu’ils me trouvoient en fort méchante condition ; mais deux d’entre eux sont montés dans mon carrosse, et ayant tiré des ciseaux, m’ont coupé le côté droit de mes cheveux, et m’ont arraché un canon, et s’en sont allés sans ajouter aucune voie de fait à cet outrage.

« Comme mes laquais, mon cocher, un de mes amis familiers qui étoit dans mon carrosse, et moi, les avons reconnus pour être des gens de mon pays, amis, parents et serviteurs de celui avec qui j’ai cette vieille querelle dont je viens de parler à Votre Éminence, je me suis retiré chez moi, et d’abord me suis pourvu par les voies de la justice, comme plus propres à ma profession, et plus conformes même à mon naturel. Je supplie donc Votre Éminence, Monseigneur, que je demeure encore ici peut-être quinze jours, qu’il faudra que j’emploie à faire achever les informations, qui sont déjà commencées, et mettre ma poursuite en état qu’elle puisse aller son chemin par les formes de la justice en mon absence. Ainsi, je supplie encore Votre Éminence qu’il lui plaise d’ordonner à M. de Langlade qu’il serve ce commencement de mon quartier jusqu’à mon arrivée.

« Je demanderois à Votre Éminence la puissance de sa protection, si celle de la justice ordinaire ne suffisoit pas, et si je ne croyois trouver au moins autant d’amis et de considération dans Paris qu’un homme de province qui est réduit à des assassins et à un assassinat. Il ne me reste donc qu’à demander en grâce à Votre Éminence qu’elle croie que je ne puis pas rien oublier au monde, de quelque nature que puissent être, des moyens honnêtes et légitimes pour la réparation de mon honneur, et pour venger un outrage dont l’impunité me rendroit méprisable dans le monde, et bien indigne de l’honneur que j’ai d’être au roi par la libéralité de la reine et celle de Votre Éminence qui l’a produite, de celui que j’ai encore d’être ministre du roi de Pologne, et d’être cru au point que je le suis serviteur de Votre Éminence, et sous votre protection particulière en cette qualité-là.

« Je ne suis pas si embarrassé de mon affaire que je ne pense encore rendre compte à Votre Éminence des siennes dont j’ai connoissance ; mais je sais que M. Ondedei est à la source des choses et des personnes, et qu’il n’oublie rien pour les faire et les dire à Votre

  1. Ce conseiller du parlement de Pau auquel Bartet imputa d’abord l’attentat contre sa personne se nommoit Casaux. Voy. Mémoires de Conrart. art. Bartet.