Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/458

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« Les personnes qui me compatissent sincèrement, et qui m’ont promis de me donner les secours de leurs amitiés, attendent, Monseigneur, quelque mouvement favorable de Votre Éminence en mon endroit, et par la bonté qu’ils croient que vous avez naturellement pour moi, et parce que l’action est si odieuse que l’autorité, dont vous avez la conduite, en est blessée.

« Mme de Chevreuse en a parle ce matin à M. l’abbé Ondedei, de qui j’ai reçu les dernières civilités. Je crois qu’elle lui en écrira même encore ; et M. le premier président, qui condamne l’action par tous les endroits par lesquels elle est condamnable, m’a promis ce que peut promettre un homme qui est à sa place ; de sorte, Monseigneur, que, si j’obtiens de Votre Éminence ce petit mouvement de laisser faire, sans vous déplaire, le parlement de Paris, la plus grande partie des juges, que j’ai déjà vus par précaution, voient en mon affaire une fin fort honorable. Je trouverai la mienne bien glorieuse, Monseigneur, si, après m’être rendu tout mon honneur qu’on m’a ôté, je suis assez heureux pour l’employer pour votre service, qui est, comme Dieu sait, la passion la plus forte que j’aie au monde. »

Mazarin parut compatir à l’affront qu’avoit essuyé Bartet ; il lui écrivit une lettre dans laquelle il lui promit d’en tirer vengeance. Mais soit qu’il ne voulût pas mécontenter la noblesse pour une cause de si peu d’importance, soit qu’il fût lui-même blessé de la vanité de Bartet, il laissa tomber l’affaire. Les contemporains ne firent que rire de l’avanie infligée à un favori insolent. Mme de Sévigné en parle en plaisantant à Bussy-Rabutin [1], et trouve le tour très bien imaginé. D’autres firent sur l’aventure de Bartet une chanson dont voici un couplet :

Comme un autre homme
Vous étiez fait, monsieur Bartet ;
Mais, quand vous iriez chez Prudhomme [2].
De six mois vous ne seriez fait
Comme un autre homme.

Cependant Bartet n’en resta pas moins, après cette aventure tragicomique, un des confidents de Mazarin. C’est à tort que Saint-Simon dit (p. 121) que là commença son déclin, qui fut rapide et court. Quatre ans plus tard nous retrouvons encore Bartet à la cour rendant compte de toutes choses au cardinal qui négocioit la paix des Pyrénées (1659). Les lettres fort nombreuses de Bartet forment une véritable gazette de la cour de Louis XIV. Je n’en citerai qu’une,

  1. Lettre du 19 juillet 1655.
  2. Baigneur célèbre de cette époque, chez lequel on trouvoit tous les raffinements du luxe.