Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/90

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son serment qu’il n’auroit osé l’exiger. Le roi en fut dans une telle colère, que Torcy, ami intime du prélat, eut toutes les peines imaginables de le détourner d’éclater. Fréjus qui le sut, et qui, après coup, sentit sa faute et quelle peine il auroit à en revenir auprès du roi, trouva fort mauvais que Torcy ne la lui eût pas cachée, comme s’il eût été possible qu’une démarche si étrange et si publique, et dont M. de Savoie s’applaudissoit, ne fût pas revenue de mille endroits ; et ce que Fréjus pardonna le moins au ministre fut la franchise avec laquelle il lui en parla, comme s’il eût pu s’en dispenser, et comme ami et comme tenant la place qu’il occupoit. L’évêque, flatté au dernier point des traitements personnels de M. de Savoie, le cultiva toujours depuis ; et ce prince, par qui les choses les plus apparemment inutiles ne laissoient pas d’être ramassées, répondit toujours de manière à flatter la sottise d’un évêque frontière, duquel il pouvoit peut-être espérer de tirer quelque parti dans une autre occasion. Tout cela entre eux se passa toujours fort en secret, mais dévoua l’évêque au prince. Tout cela, joint à l’éloignement du roi marqué pour lui et à la peine extrême qu’il avoit montrée à le faire évêque, n’étoit pas le chemin pour être choisi par lui pour précepteur de son successeur.

Devenu premier ministre au point d’autorité sans partage avec laquelle il règne seul et en chef publiquement depuis seize ans, il n’oublia ni sa rancune contre Torcy, à qui il l’avoit si soigneusement cachée depuis ses premières plaintes, ni son attachement à M. de Savoie. Dès auparavant, il lui rendoit un compte assidu de tout ce qui regardoit l’éducation du roi ; il me l’a dit à moi-même en s’écriant que c’étoit un devoir, que M. de Savoie étoit son, grand-père, qu’il n’avoit de parents que lui. Premier ministre, il le consulta sur les affaires, il s’ouvrit de tout avec lui pendant deux ans. Il me le fit entendre encore, mais sans s’en expliquer aussi nettement qu’il avoit fait sur l’éducation. « C’est