Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son grand-père, me dit-il encore ; le roi est tout jeune ; on est en paix ; M. de Savoie est le plus habile prince de l’Europe ; il est mon ami intime ; il m’a voulu faire précepteur de son fils, j’ai sa confiance depuis longtemps ; il ne peut que prendre grand intérêt au roi. Qui pourrois-je consulter plus utilement et plus raisonnablement en Europe ? » À la fin pourtant il s’aperçut que c’étoit M. de Savoie qui avoit sa confiance, mais qu’il n’avoit pas la sienne, qu’il en abusoit et qu’il le trompoit cruellement. L’amour-propre fut longtemps à se convaincre, mais à la fin il le fut, et vit tout d’un coup d’œil le précipice qu’il s’étoit creusé. Il se tut pour ne pas faire éclater une si lourde duperie, mais il rompit et ne lui pardonna jamais. Il le lui rendit bien à son emprisonnement par son fils. Jamais il ne souffrit que le roi fît la moindre démarche, le moindre office même, pour ce grand-père, pour ce parent unique. Il ne put dissimuler sa joie de se voir vengé. Ce n’est pas ici le lieu de dire comment il fit de même le tour de l’Europe, et comment, ni jusqu’à quel point l’Angleterre très longtemps, l’empereur ensuite, M. de Lorraine, enfin la Hollande ont utilement pour eux entretenu sa plus aveugle confiance et cruellement abusé de sa crédulité. J’en rapporterai seulement ici quelques traits, parce que ces temps dépassent celui où je me suis proposé de me taire, et qu’ils sont trop curieux pour les omettre, puisqu’ils peuvent trouver place si naturellement ici.

Il faut se souvenir de la fameuse aventure qui pensa culbuter M. de Fréjus. Il étoit toujours présent au travail particulier de M. le Duc, qu’il avoit fait premier ministre à la mort de M. le duc d’Orléans, pour lui en donner l’écorce et en retenir la réalité pour soi. M. le Duc, poussé par sa fameuse maîtresse, Mme de Prie, voulut le déposter et travailler seul avec le roi. Il venoit de faire son mariage et pouvoit tout sur la reine, qui fit que le roi vint chez elle un peu avant l’heure de son travail. M. le Duc s’y rendit avec